A Alger, le 17eme vendredi du calendrier de la révolte était jour de fête. Sans oublier l’essentiel, les manifestants sont venus célébrer la dernière victoire en date. Celle de l’incarcération d’anciens hauts responsables du régime. Encourageant, mais pas encore suffisant, diront-ils, cependant.
Durant cette journée particulière tout s’est passé un peu plus tôt que d’habitude. A la Grande poste, la foule était nombreuse, plus tôt que les autres vendredis et à la rue Didouche Mourad, les manifestants avaient une heure d’avance au moins. Tout le monde semblait impatient d’arriver en ville pour crier sa joie en chœur.
Vers 13heures, la rue Didouche Mourad était déjà occupée par des centaines de personnes, drapeaux sur les épaules ou à bout de bras, des pancartes exprimant leur colère contre le régime, leur joie de voir ses symboles tomber ou rendant hommage aux victimes du printemps noir. Mais tous ces gens semblaient attendre quelque chose d’important. Pour tuer le temps, ils discutaient calmement en pleine rue ou sur les trottoirs. L’heure n’était pas encore aux slogans. Il fallait attendre encore quelques minutes pour s’exprimer à haute voix.
En fait, toute cette foule d’hommes et de femmes attendaient la fin de la prière du vendredi pour marcher avec les centaines de personnes qui allaient sortir des mosquées voisines. A la rue Victor Hugo, les gens priaient dans la rue à côté de la bouche du métro et à quelques dizaines de mètres derrière eux, leurs compagnons de marche les attendaient. C’était l’un de ces moments uniques et spontanés dont on mesure rarement la portée au moment où il a lieu. Visiblement, certains manifestants, malgré leurs différences, ne s’imaginent plus marcher les uns sans les autres.
Les tapis de prière pliés, la marche pouvait enfin commencer. Et c’est un festival de slogans et de couleurs qui s’en suit. Les marcheurs heureux de voir des têtes du système tomber ne sont pas pour autant satisfaits. Ils veulent plus et ils le font comprendre dans leurs slogans. Ils n’ont pas été tendres non plus avec le chef de l’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, même si dans les discussions spontanées organisées en marge du flot des manifestants, certains tentent de faire son éloge.
La foule s’est déchaînée, en revanche, sur l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, placé en détention provisoire mercredi dernier. Des slogans moqueurs ont été répétés en boucle contre celui que l’on considère comme le pire de tous. Et vers 16 heures, une procession de manifestants marchant vers la place Audin a attiré l’attention avec un couffin placé bien haut et débordant de pots de yaourt. Pour n’importe quel Algérien la signification de ce symbole est évidente : un couffin à offrir au prisonnier Ouyahia qui a dit un jour que tous les Algériens n’étaient pas obligés de manger du yaourt. Cinglant.
Face à la Grande poste, des groupes de jeunes chantaient à gorge déployée, accompagnés de trompettistes et de percussionnistes.
Loin des effusions de joie, des groupes de discussion étaient organisés sur le parcours des marches. Certains faisaient entendre leur voix avec haut-parleur est micro. Dans ces groupes, l’avenir du pays était en débat. On parlait de la suite des événements, des hauts responsables à juger, de l’avenir du Hiak et des alternatives qui s’offrent à ce mouvement et au peuple. On rendait hommage aussi aux jeunes décédés lors des manifestations de 2001. Le 14 juin de cette même année, les autorités avaient violemment réprimé les manifestants à Alger.
Vers 17 heures, la température était devenue plus clémente en cette chaude journée de juin, mais pas assez. Du côté de la faculté centrale, des jeunes munis de pulvérisateurs à pression ont commencé à asperger la foule avec de l’eau fraîche. Et il a fallu que l’un d’eux arrose son voisin pour que le lieu se transforme en terrain de jeu impliquant plusieurs personnes, chacune tentant de noyer l’autre sous un jet d’eau. Une parenthèse rafraîchissante.
Cette journée a été pour la plupart des manifestants une journée réussie. Aucun incident ne s’y était produit et la foule très nombreuse s’est à nouveau approprié le centre-ville pour s’exprimer. Elle s’est exprimé et a fait démonstration de sa joie. Depuis le début de la révolte, le président de la République a quitté son poste et deux anciens premiers ministres ont été mis en prison. Des résultats concrets, mais le Hirak a encore faim.