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Maghreb

À Ghardaïa, le bilan macabre des affrontements s’alourdit, la tension reste palpable

Par Yazid Ferhat 23 janvier 2014

Un deuxième mort parmi les mozabites a été enregistré ce jeudi, avons-nous appris auprès de sources locales. La victime, Hadj Said Khaled Ben Aissa, un homme de 35 ans, était plongé dans un coma profond depuis dimanche dernier après avoir reçu un projectile lors d’échauffourées contre la communauté arabe.

 

Selon nos sources, d’autres victimes se trouvent également dans un coma. Leur situation est jugée critique. Le nombre de morts s’élève donc à deux, après qu’un jeune de 39 ans eut été poignardé. Son enterrement a eu lieu mercredi matin dans le quartier Baba Essaad dans une ambiance empreinte d’émotion et de colère chez la communauté mozabite. Cependant, les sages de cette communauté de rite ibadite ont appelé à ne pas céder à la colère en s’attaquant contre la communauté arabe qui adopte,  quant à elle, le rite Malékite. Après quelques jours d’accalmie et un semblant retour à la normale, l’activité à Ghardaïa est revenue au point mort dimanche après l’éclatement de nouvelles échauffourées entre les deux communautés mozabite et arabe. Les commerçants sont toujours en grève, idem pour les écoles.  La médiation tentée par le gouvernement et la visite d’Abdelmalek Sellal n’ont pas contribué à apaiser la tension très perceptible à Ghardaïa. « Nous ne voulons pas de lots de terrain, nous demandons des solutions radicales », tonne un citoyen du quartier millénaire de Béni Isguen. 

 Une cohabitation séculaire à l’épreuve de la violence

La quiétude légendaire des habitants est durement mise à mal, y compris dans les quartiers où cohabitation entre Ibadites et Malékites, Mozabites et arabes, était jusque-là empreinte d’harmonie et de respect mutuel. A Mélika, l’un des cinq « ksour » de la vallée du M’zab avec Bounoura, Béni-Isguen, Ghardaïa et el-Atteuf, Mozabites et Arabes vivent sous d’incessantes rumeurs d’une éventuelle attaque d’une communauté contre une autre. Les interventions des sages pour rassurer et ramener les esprits à de meilleurs sentiments, sont de plus en plus fréquentes. Pourtant, concrètement, il n’y a rien qui justifie toute cette inquiétude. Il y a quatre siècles de cohabitation à Mélika, At Tamelichet  (la reine en mozabite), entre les Mozabites ibadites et les Arabes Malékites sans qu’il n’y ait de gros malentendus. Après ces siècles d’entente et d’harmonieux voisinage, les choses ont aujourd’hui beaucoup changé. Au point que des actes individuels peuvent dégénérer.

 L’enterrement il y a quelques jours d’une dame dans le cimentière du quartier a failli se transformer en affrontements à cause des rumeurs faisant croire à une attaque des Arabes contre les Mozabites. « Nous avons vécu un épisode similaire en 2004 lors d’un enterrement qui a mis aux prises les deux communautés, nourries des rumeurs les plus folles. Nous avons frôlé la catastrophe ! », rappelle un notable du quartier représentant la communauté Malékite dont les lointaines racines remonte à la région de Metlili. Notre interlocuteur refuse toutefois de dévoiler son nom au risque d’attirer, d’après ses dires, l’ire des gens de sa communauté.

« Il ne s’agit pas d’un conflit intercommunautaire »

 L’origine de ces rumeurs demeure un mystère. «On ne sait pas d’où partent ces rumeurs. Leur effet est cependant catastrophique », confie-t-il.  « Il y a deux jours, mon téléphone portable n’a pas cessé de sonner. Des voisins m’appellent pour m’alerter sur une attaque imminente des Arabes contre les Mozabites. J’appelle un ami arabe et il me dit que tout va bien », témoigne quant à lui, Mohamed Tounsi, sage et notable du quartier ibadite de Mélika.  « On veut faire croire qu’il y a un conflit intercommunautaire à Ghardaïa. Or, ce n’est pas vrai. Vous voyez de vous-mêmes ! », nous dit-il. A côté de lui, son ami arabe acquiesce. Les deux hommes font valoir une cohabitation millénaire entre les deux communautés. Il y a des siècles de cela, un sage mozabite a décidé de faire cohabiter les deux communautés en procédant à un échange de familles entre elles. « C’est ainsi, nous raconte Mohamed Tounsi, des familles mozabites ibadites se sont retrouvées à Metlili tandis que des familles arabes de cette région de rite malékite ont pris leurs quartiers à Mélika. La cohabitation dure depuis et ce n’est qu’avec dépit que les deux communautés vivent ces derniers affrontements ».

Le quartier Hadj Messaoud et la complicité des « bleus »

Les deux hommes s’accordent à dire que ces tensions sont créées par des groupuscules arabes du quartier Hadj Messaoud situé en contrebas de flanc sur lequel est nichée Mélika. « Le mal vient des arabes qui habitent ce quartier. C’est un véritable fief des drogués et des délinquants. Pourtant, les agents de sécurité savent bien qui ils sont, mais ils ne font rien pour les arrêter. Récemment encore, ils (des arabes de Hadj Messaoud) se sont pris à une petite partie du quartier qu’occupent des mozabites, les agressant et pillant leurs maisons. Seule une ruelle sépare le quartier arabe et le quartier mozabite appelé également Bouhraoua. Curieusement et inexplicablement, les « bleus » (étonnante référence des mozabites aux agents de la police signe évident d’une profonde aversion à leur égard, Ndlr), ne sont pas intervenus. Or, dès que les gendarmes (désignés par certains simplement par la couleur de leur uniforme, le vert, Ndlr) sont intervenus, ils ont pu immédiatement les repousser surtout que les assaillants projetaient de prendre le contrôle le château d’eau qui alimente le quartier en eau potable», rage M. Tounsi. Lors de notre visite Mélika, mercredi 22 janvier, nous avons effectivement remarqué que les camions de la Gendarmerie nationale étaient positionnés sur place. Le notable mozabite affirme que les jeunes de Hadj Messaoud sont « manipulés » par les salafistes « qui n’hésitent pas, selon lui, à s’allier avec le Diable pour asseoir leur emprise sur la population mozabite ibadite ».

 Tolérants et nationalistes

« Nous sommes une communauté tolérante. Nous ne rejetons pas l’autre, même issu d’un autre rite religieux, bien au contraire. Pour preuve, les Juifs étaient fortement présents à Ghardaïa. Ils étaient venus pour travailler et les ibadites mozabites les avaient adoptés parce qu’ils avaient besoin de leur savoir-faire nonobstant leur appartenance religieuse. Il n’est pas étonnant que les mozabites aient hérité des Juifs leur sens aigu pour le commerce », explique Mohamed Tounsi dans un parfait français. Quant aux idées sécessionnistes, elles n’existent pas chez les mozabites. « Contrairement aux allégations de la chaine Ennahar TV qui montrait un groupe d’individus brandir l’emblème amazigh lors d’une manifestation de mozabites, il n’y a aucune volonté chez nous de nous séparer du reste de l’Algérie. Nous ne sommes pas moins fiers de notre appartenance ethnique », observe notre interlocuteur.

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