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À l’inverse du Maroc, l’Algérie fait le pari raisonné du train rapide

Par Samy Injar avec IA
2 mai 2025
Le plan national prévoit de porter le réseau à 15 000 km à l’horizon 2035, contre moins de 5 000 km aujourd’hui

L’Afrique vit depuis une décennie un tournant ferroviaire, marqué par deux stratégies nationales opposées au Maghreb : alors que le Maroc a lancé en 2018 le premier train à grande vitesse du continent, l’Algérie a opté pour le développement progressif d’un réseau de trains rapides circulant à des vitesses allant jusqu’à 220 km/h. Un choix technique et budgétaire assumé, à la lumière des contraintes territoriales, économiques et logistiques du pays.

Si les deux modèles s’appuient sur une ambition commune – moderniser le rail pour améliorer la connectivité intérieure et dynamiser les territoires –, ils traduisent deux visions contrastées de la rentabilité et de l’intégration ferroviaire.

Deux modèles de développement ferroviaire

En 2018, le Maroc a inauguré la ligne Tanger–Kénitra, première phase d’un projet de TGV destiné à relier, à terme, le nord du pays à Marrakech et Agadir. Ce premier tronçon de 200 km, conçu pour des trains roulant à 320 km/h, a coûté environ 2 milliards d’euros, financés à moitié par des partenaires étrangers, principalement la France (AFD), des pays du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït) et la Banque Européenne d’Investissement. L’opérateur national marocain, l’ONCF, annonce que la ligne a transporté 4 millions de passagers en 2023, et table sur une augmentation à 6 voire 8 millions dans les prochaines années. Ce seuil est considéré comme celui à partir duquel la ligne pourrait s’approcher d’un équilibre financier.

En Algérie, la stratégie ferroviaire repose sur un objectif différent : étendre massivement le réseau ferroviaire, tout en le modernisant pour permettre des vitesses commerciales entre 160 et 220 km/h, sans entrer dans la logique de la très grande vitesse. Le développement et l’aménagement du réseau sont sont confiés à l’Agence nationale d’études et de suivi de la réalisation des investissements ferroviaires (ANESRIF), tandis que la SNTF en assure l’exploitation.

Le plan national prévoit de porter le réseau à 15 000 km à l’horizon 2035, contre moins de 5 000 km aujourd’hui. Cette extension massive s’appuie sur une série de nouvelles lignes rapides, souvent en zone intérieure ou saharienne, dont certaines sont déjà partiellement opérationnelles.

C’est le cas de la ligne Boughezoul–Laghouat, mise en service en octobre 2023, qui permet d’atteindre 220 km/h pour les voyageurs. La ligne Saïda–Tiaret, longue de 153 km, a vu sa première section ouverte en janvier 2023, mais connaît des retards sur le tronçon final. La ligne Tissemsilt–M’Sila, livrée en 2022, fait partie du vaste projet de rocade ferroviaire des Hauts Plateaux, destiné à désenclaver l’intérieur du pays. À l’ouest, la ligne Oran–Tlemcen, lancée en 2013, est toujours en attente de livraison en avril 2025, après plusieurs annonces repoussées.

Rentabilité contre accessibilité : des contraintes distinctes

Le choix algérien ne s’explique pas par un écart de potentiel entre Alger et Oran, et Tanger et Casablanca. En termes de population et de poids économique, l’axe Algéro-Oranais est parfaitement comparable, voire supérieur sur certains indicateurs. La décision de ne pas y implanter de TGV tient à une approche stratégique : plutôt que d’investir massivement sur un corridor unique, Alger privilégie un maillage élargi du territoire, soutenu par des lignes rapides plus économiques à déployer.

Les coûts du TGV restent considérables : entre 15 et 20 millions d’euros/km, en raison de la nécessité d’une infrastructure spécifique, dédiée exclusivement à ce type de circulation. À l’inverse, les lignes rapides algériennes – qu’elles soient nouvelles ou modernisées – reviennent entre 3 et 5 millions d’euros/km. Ce différentiel permet de multiplier les projets sur l’ensemble du territoire, avec un impact plus diffus mais structurellement plus inclusif.

L’Algérie entend ainsi renforcer sa cohésion nationale, en reliant non seulement les grands centres mais aussi les wilayas du sud et des Hauts Plateaux. Des villes comme Laghouat, Djelfa ou Béchar sont désormais intégrées dans des projets de modernisation du rail, avec des bénéfices à la fois économiques (accès au fret) et sociaux (mobilité interurbaine accrue).

Mais ce pari implique aussi des compromis. Le financement repose essentiellement sur le budget de l’État, soumis à la volatilité des recettes hydrocarbures. À cela s’ajoutent des retards récurrents, un manque de coordination entre maîtres d’ouvrage, et des lenteurs administratives. Si le réseau s’étend, sa mise en service effective reste hétérogène.

Du côté marocain, le recours à des partenaires internationaux a permis un saut technologique plus rapide, au prix toutefois d’une dépendance extérieure. Le projet TGV y a aussi une portée géopolitique : il s’agit autant d’un investissement en mobilité que d’un outil de projection régionale. Le succès du TGV marocain dépendra néanmoins de l’évolution de la demande : pour l’heure, les 4 millions de passagers annuels atteints en 2023 restent en deçà du seuil de rentabilité, estimé à 8 ou 9 millions. La viabilité économique du projet n’est donc pas encore assurée.

L’Afrique choisit la rapidité plus que la très grande vitesse

Le Maroc reste l’exception continentale en matière de train à grande vitesse. En dehors de lui, seul l’Égypte s’est engagée dans un projet comparable, avec la construction en cours d’un réseau TGV de 2 000 km confié à Siemens Mobility. Ce projet, financé en partie par des crédits allemands, vise à relier Le Caire à Alexandrie, la mer Rouge et la Haute-Égypte.

Dans la majorité des autres pays africains – du Nigeria à l’Éthiopie, en passant par le Kenya ou l’Afrique du Sud – c’est le modèle du train rapide qui prévaut. Ces projets s’appuient souvent sur des lignes existantes modernisées, à des vitesses de 120 à 160 km/h, avec un accent mis sur le fret, la sécurité et la fiabilité plus que sur la vitesse pure.

En cela, l’Algérie s’inscrit dans un courant continental réaliste, où le rail est envisagé comme un outil de structuration du territoire, plus qu’un levier d’image ou de prestige. Le Maroc, de son côté, assume une position de démonstration technologique, qui pourrait devenir un modèle si la demande continue de croître.

Deux pays, deux logiques. Le choix du train rapide algérien s’inscrit dans un schéma de long terme : couvrir un territoire vaste, intégrer des régions éloignées et moderniser l’ensemble d’un réseau, quitte à progresser par étapes.

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