Depuis hier, les Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) réunissent à Abidjan les délégations continentales autour d’une question centrale : « Tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement ». Derrière ce thème, une urgence économique se dessine pour un continent longtemps tributaire des bailleurs extérieurs.
Les chiffres présentés aux délégations africaines révèlent l’ampleur du défi. Au cours de la dernière décennie, la BAD, dont l’Algérie est actionnaire, a mobilisé 102 milliards de dollars pour des projets africains, touchant 565 millions de personnes, selon l’APS. Plus de 55 milliards ont été consacrés aux infrastructures : routes, voies ferrées, systèmes numériques, santé, eau et assainissement. Le programme AFAWA de la BAD a approuvé 2,5 milliards de dollars pour soutenir plus de 24 000 entreprises dirigées par des femmes africaines.
Ces montants, considérables en apparence, masquent une réalité préoccupante. Les tensions géopolitiques, le resserrement des conditions financières internationales et la baisse de l’aide publique au développement fragilisent les sources traditionnelles de financement. Dans son allocution inaugurale, le président de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, a estimé que “les tensions géopolitiques et économiques ont contribué à créer un environnement profondément instable, remettant en cause les fondements mêmes du multilatéralisme”.
L’émergence de nouveaux bailleurs africains
Face à cette incertitude, plusieurs pays africains changent de stratégie. L’exemple algérien démontre cette mutation. En février 2023, le président Abdelmadjid Tebboune annonçait la création d’un fonds d’investissement d’un milliard de dollars dédié au financement de projets de développement en Afrique. L’Algérie abandonnait son statut de bénéficiaire pour devenir bailleur de fonds continental.
Dans ce contexte, l’Agence algérienne de coopération internationale, qui gère cette enveloppe, cible des projets structurants dans plusieurs pays africains. Cette approche répond directement aux objectifs « High 5 » de la BAD : éclairer l’Afrique, la nourrir, l’industrialiser, l’intégrer et améliorer la qualité de vie de ses populations. D’autres initiatives similaires émergent progressivement sur le continent. Les pays africains découvrent qu’ils peuvent mobiliser leurs propres excédents pour financer le développement régional, créant une nouvelle géographie du financement continental.
Le défi sahélien, laboratoire de la coopération algéro-africaine
Cette nouvelle approche trouve son premier terrain d’application au Sahel, région où les défis sécuritaires et économiques se conjuguent. Les conflits au Mali, au Niger et au Burkina Faso créent des déplacements massifs, détruisent les infrastructures et fragilisent les économies locales. La BAD a identifié cette zone comme prioritaire, avec plus de 100 projets en cours pour un portefeuille dépassant 3 milliards de dollars.
Les premiers projets financés par le fonds algérien au Mali, centrés sur l’agriculture et la formation, visent à créer des emplois locaux et à renforcer les capacités. Cette stratégie répond aux défis du chômage des jeunes, facteur d’instabilité régionale. Pour l’Algérie, qui partage de longues frontières avec le Mali et le Niger, ces investissements constituent une réponse économique à un défi sécuritaire direct.
L’agriculture offre un exemple concret de cette approche. Selon l’APS, 104 millions d’Africains ont accédé à la sécurité alimentaire grâce aux projets BAD. Le fonds algérien complète ces efforts en finançant des projets agricoles locaux, créant une synergie entre institutions continentales et initiatives nationales.
Vers une nouvelle architecture du financement continental
C’est dans ce contexte de bouleversements que les discussions qui se déroulent ces 26 et 27 mai 2025 à Abidjan prennent tout leur sens. En créant son propre véhicule d’investissement tout en renforçant sa participation à la BAD, l’Algérie propose un modèle de coopération Sud-Sud renforcée. Cette double approche permet de mutualiser les ressources et d’accélérer la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Le fonds d’investissement africain devient ainsi un outil de politique étrangère, visant à stabiliser la région par l’économie plutôt que par les seules approches sécuritaires.
La présidente du Conseil des gouverneurs de la BAD, Naile Kaba, a formulé clairement cet enjeu : l’Afrique n’a d’autre choix que de “se rassembler autour d’elle-même et de ses institutions les plus fortes”. Cette déclaration résume l’esprit qui anime les travaux d’Abidjan. Les travaux d’Abidjan portent justement sur cette transformation : comment les pays africains peuvent-ils devenir les principaux financeurs de leur propre développement ? L’initiative algérienne apporte un élément de réponse concret.