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Affaire Christophe Gleizes : récit complet du « procès d’une profession »

Par Djaffar OUIGRA 4 décembre 2025

Le tribunal de Tizi-Ouzou a été ce mercredi 3 décembre 2025, le théâtre d’un procès très suivi : celui du journaliste français Christophe Gueliez.

Un dossier qui fait couler beaucoup d’encre des deux côtés de la Méditerranée depuis plusieurs mois. Entré en Algérie le 24 mai 2024 avec un simple visa touristique, il affirme être venu pour exercer son métier et réaliser trois reportages sur le football algérien, dont un consacré à la mythique JSK. L’ambiance de l’audience était lourde, presque électrique, marquée par la présence de la famille de l’accusé et de nombreux avocats venus assister à ce procès très médiatisé.

Dès 10 h, Christophe Gleizes a été appelé à la barre. Pendant près de trois heures, il a répondu aux questions du président du tribunal et des juges assesseurs. Physiquement, il semblait en bonne santé. Face aux questions répétées du procureur et du tribunal, il a tenté de répondre clairement, mais l’émotion l’a submergé. En larmes, il a demandé pardon au peuple algérien et dit qu’il l’aimait encore davantage depuis son incarcération.

Des réquisitions sévères du parquet

Le procureur de la République n’a pas adouci ses propos. Selon lui, si l’accusé se trouvait en Algérie, c’était pour « semer la zizanie et la polémique », constituant ainsi une menace pour l’unité nationale. Il a retenu contre lui deux chefs d’inculpation : « apologie du terrorisme » et « possession de publications visant à nuire à l’intérêt national ». Il a requis dix ans de prison ferme accompagnés d’une amende de 500 000 dinars. Un réquisitoire implacable qui a laissé une partie de l’audience dubitative. Pour beaucoup, l’affaire semblait davantage reposer sur des interprétations que sur des preuves matérielles solides.

Une défense déterminée : « Ce n’est pas un homme qu’on juge, mais une profession »

La défense, composée des avocats Emmanuelle Daoud et Amirouche Bakouri, a plaidé pendant deux heures pour démonter point par point l’argumentaire du parquet. Selon eux, les accusations sont tout simplement infondées. Maître Daoud a ouvert la plaidoirie par une phrase forte : « On assiste non pas au jugement d’un homme, mais d’une profession. »

Elle a expliqué que Christophe Gleizes n’a toujours vécu qu’autour de deux passions : l’écriture et le ballon. « Depuis des années, c’est son métier : écrire. Il n’a aucun lien avec la politique, encore moins avec un quelconque militantisme », a-t-elle insisté. Selon elle, s’il était venu en Algérie pour soutenir une organisation terroriste comme le MAK, son ordinateur aurait été rempli de fichiers et de documents correspondant à cette orientation. « Rien de cela n’a été trouvé », a-t-elle martelé. Pour la défense, Christophe était bien venu pour travailler, même s’il a commis une erreur en n’obtenant pas l’accréditation nécessaire.

Les avocats sont revenus longuement sur les faits reprochés- une statuette, une somme d’argent, des messages transférés avant même le classement du MAK comme organisation terroriste. Rien, selon eux, ne justifie une peine aussi lourde. Maître Daoud a directement interrogé le procureur : « Est-ce sérieux de dire que Christophe peut déstabiliser un pays comme l’Algérie ? Est-ce sérieux de croire qu’un texto peut renverser un État ? » Une réplique qui a marqué la salle et donné tout son sens au procès.

Maître Bakouri, pour sa part, est revenu sur les propos de la procureure évoquant la Décennie noire. Il a rappelé que le pays avait surmonté ces années justement parce qu’il avait su compter sur ses forces vives : « Si l’Algérie a vaincu le terrorisme, c’est parce qu’il y a des gens qui pensent. Toute la mémoire du peuple algérien est marquée par ces années sombres, causées par ceux qui n’aiment pas la lumière ». Il a également souligné que les services algériens figurent parmi les plus rigoureux au monde, notamment en matière de lutte antiterroriste. « Christophe a obtenu un visa parce que l’ambassade n’a rien soupçonné. Dire aujourd’hui que l’Algérie a accordé un visa à un terroriste, désolé, mais ça ne tient pas. »

La défense a aussi rappelé un point essentiel : depuis son arrestation, aucune réaction n’a été enregistrée du côté du MAK. Ni communiqué, ni message d’intérêt, ce qui, selon les avocats, prouve l’absence totale de lien. Concernant l’affaire Ebossé, la défense a estimé qu’il est normal que des journalistes ou des analystes s’expriment : « Cela s’appelle la liberté d’expression. Dire qu’une phrase peut déstabiliser l’Algérie, c’est aller trop loin. On sous-estime non seulement l’État algérien, mais aussi l’intelligence de tout un peuple. »

Un verdict qui laisse un goût amer

Pour la défense, les faits sont clairs : la seule infraction éventuelle serait l’entrée en Algérie pour travailler sans accréditation, un délit puni par l’article 50 de la loi organique et passible d’une simple amende de 500 000 à 1 000 000 de dinars. « Certains veulent utiliser cette affaire pour alimenter des tensions politiques entre les deux pays », a averti Maître Bakouri.

Après plus de deux heures de plaidoiries intenses, le président du tribunal s’est retiré pour délibérer avec ses conseillers. L’attente a duré plus d’une heure, dans une salle chargée d’une tension palpable. Malgré des accusations jugées insensées par une partie de l’audience, le tribunal a finalement confirmé le jugement rendu en mai dernier.

Un verdict qui a surpris, voire choqué, les présents. Désormais, la Cour suprême devra trancher, si la famille de l’accusé dépose un recours dans les huit jours.


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