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Affaire Gleizes : obnubilé par le MAK et Paris, Alger sous-estime le bad buzz FIFA

Par Ihsane El-Kadi 6 December 2025

La confirmation en appel, cette semaine à Tizi-Ouzou, de la peine de sept ans de prison infligée au journaliste français Christophe Gleizes a provoqué une vague de réactions internationales d’une ampleur inattendue.

De Reuters à l’Associated Press, des médias européens aux ONG de défense de la liberté de la presse, l’affaire est devenue en quelques heures un symbole global de la répression du journalisme. Ce retentissement est d’autant plus frappant que plusieurs signes laissaient espérer une issue plus clémente avant l’audience : mobilisation croissante des milieux du sport, soutien de confrères, présence autorisée au procès de Kevin Lamour, numéro trois de la FIFA, venu observer une procédure qui concernait officiellement un journaliste sportif en reportage. Rien n’a pourtant infléchi la décision de le verdict de la cour de Tizi Ouzou . Loin d’apaiser la situation, la sentence confirmée a transformé le dossier en crise d’image majeure pour Alger.

De l’exercice du journalisme à la “sécurité nationale”

À l’origine, l’affaire était simple : un journaliste spécialisé dans le football, collaborateur de la prestigieuse revue So Foot, enquêtant en Kabylie, passe des entretiens, rencontre des acteurs locaux, recueille des témoignages.

Il a toutefois le tort d’être rentré en Algérie avec un visa touristique. Une pratique fréquente ces dernières années où les visas aux journalistes occidentaux restent quasi systématiquement en stand by éternel. Dans la logique professionnelle du reportage, rien de vraiment exceptionnel en contexte autoritaire. Mais progressivement, le pouvoir algérien a fait basculer le dossier dans une tout autre dimension : celle de la sécurité nationale.

Le lien supposé entre Gleizes et des membres du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), organisation classée terroriste par l’Algérie depuis le printemps 2021, a servi de pivot à la requalification du dossier.

Cette politisation s’est accentuée depuis la première condamnation du journaliste en première instance, avec l’annonce, pour le 14 décembre prochain à Paris, du projet de Ferhat Mehenni, président du MAK, de proclamer symboliquement l’indépendance de la Kabylie. Aux yeux des autorités algériennes, mais aussi d’une grande majorité de Kabyles, cet événement représente une provocation directe et une tentative d’internationalisation de la question kabyle.

L’affaire Gleizes s’est trouvée aspirée par ce contexte explosif : le journaliste n’est plus jugé pour ses méthodes de travail ou ses écrits, mais intégré malgré lui à la dramaturgie d’un affrontement politique. Dans le récit officiel, la frontière est volontairement brouillée entre reportage et “propagande séparatiste”. Ce glissement transforme un  dossier de presse « classique » en démonstration d’autorité de l’État face à ce qu’il présente comme une menace existentielle.

Paris entre solidarité journalistique et fermeté diplomatique

Face à cette évolution critique, la diplomatie française est entrée pleinement en scène. Emmanuel Macron a publiquement exprimé sa “profonde inquiétude”, le Quai d’Orsay a appelé à la libération immédiate du journaliste et le ministre de l’Intérieur a évoqué l’affaire comme un sujet majeur des échanges franco-algériens. La ligne française est claire : le cas Gleizes relève exclusivement de la liberté de la presse et ne saurait être amalgamé avec les activités politiques du MAK.

Cette dissociation est essentielle pour Paris. Il ne s’agit pas de cautionner, ni même de commenter, l’initiative de Ferhat Mehenni prévue le 14 décembre, mais de refuser que le sort d’un journaliste soit utilisé comme variable d’ajustement dans un bras de fer avec un mouvement indépendantiste. Or, c’est précisément ce qui semble se jouer : Christophe Gleizes apparaît de plus en plus comme un otage malheureux d’une confrontation indirecte entre Paris et Alger.

Le pronostic réaliste est sombre. La France n’ira probablement pas jusqu’à interdire une manifestation politique certes très fortement controversée, mais légalement déclarée sur son sol au seul motif qu’elle déplaît à Alger. Réciproquement, le pouvoir algérien, engagé dans une posture de fermeté, ne fera pas de geste humanitaire qui pourrait être perçu en interne comme un recul face à une pression diplomatique occidentale. Dans cet étau, la situation personnelle du journaliste est gelée, prisonnière d’un rapport de force qui le dépasse.

L’entêtement d’Alger face au “bad buzz FIFA”

Ce qui semble largement échapper aux autorités algériennes, c’est la dimension spécifique du “bad buzz” qui se développe dans le milieu du sport mondial. Christophe Gleizes n’est pas perçu à l’étranger comme un militant politique, mais comme un membre à part entière de la grande famille du journalisme sportif international. Or, ce milieu fonctionne comme un réseau très solidaire, capable de transformer rapidement un dossier individuel en cause collective.

La réaction des médias sportifs occidentaux est révélatrice : l’affaire est traitée comme une dérive autoritaire frappant un confrère qui faisait simplement son travail. Pour ces cercles, la condamnation passe extrêmement mal — d’autant plus mal que la FIFA elle-même avait fait le déplacement à Tizi Ouzou, donnant l’impression que l’institution tentait d’accompagner un règlement raisonnable de la situation. Le verdict tombe alors comme un camouflet.

Le préjudice d’image est évident et sans doute sous-estimé par Alger — notamment dans une séquence particulièrement sensible dans la conjoncture du tirage au sort de la Coupe du monde 2026 tenu à Washington, non loin du bureau ovale.

La juxtaposition est désastreuse : d’un côté, la diplomatie sportive mondiale célèbre l’universalité du football ; de l’autre, un journaliste lié à ce même écosystème est maintenu derrière les barreaux pour des faits assimilés à de l’“apologie du terrorisme”. Dans ce contraste, c’est la réputation de l’Algérie qui se fissure, bien au-delà du seul champ médiatique classique.

Des semaines à haut risque

Les prochaines semaines pourraient envenimer encore la situation. Reporters sans frontières, jusque-là engagée dans une campagne jugée relativement modérée, se retrouve “mise au pied du mur” par l’échec judiciaire et pourrait durcir son action au niveau international. Si Ferhat Mehenni passe effectivement à l’acte le 14 décembre, les positions risquent de se polariser davantage, plaçant l’Algérie sous un projecteur permanent mêlant séparatisme kabyle, liberté de la presse et diplomatie sportive.

Dans ce contexte, l’image du pays prend le risque de continuer à se dégrader dans les milieux de la presse et du football, ouvrant un contentieux silencieux, mais réel, avec la FIFA et de nombreuses grandes rédactions et pas seulement sportives.

L’issue la plus probable reste, comme souvent, une grâce présidentielle différée — solution pragmatique qui clôturerait le volet judiciaire sans reconnaître d’erreur politique. Mais le mal serait déjà fait : entre-temps, l’épisode Gleizes aura durablement nourri un récit international peu flatteur pour l’Algérie, au moment précis où elle cherche à renforcer son rayonnement diplomatique et sportif.

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