Algérie : le coût caché de l’école gratuite

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L’école publique : la gratuité qui vous coûte un salaire

Par Lynda NACER
21 septembre 2025
À Constantine, un couple dépense plus de 60 000 dinars par mois pour scolariser trois enfants.

L’école publique est gratuite en Algérie. C’est écrit partout, répété dans tous les discours officiels. Pourtant, dans la vraie vie, les parents paient et ils paient cher. Garderies, transport, activités : tout ce qui permet vraiment aux enfants d’aller à l’école coûte une fortune invisible, qui ne figure dans aucun budget officiel mais vide méthodiquement les comptes des familles.

Leïla gagne 45 000 dinars par mois, son mari 50 000. Avec trois enfants à charge, ce couple de Constantine devrait vivre correctement selon les standards officiels. Mais la réalité est tout autre : « Entre la garderie, le transport privé et une activité pour chacun, on dépasse les 60 000 dinars chaque mois. Il nous reste 35 000 pour tout le reste : nourriture, logement, vêtements. On se prive de tout. »

Dans toute l’Algérie, c’est le même scénario qui se répète. L’école ferme à 16h30, les parents finissent le travail à 17h30. Impossible de récupérer les enfants. L’établissement se trouve à l’autre bout de la ville, les bus passent une fois par heure quand ils passent. Difficile de s’y rendre. L’école publique n’offre ni sport ni langues étrangères, les enfants s’ennuient. Alors les parents paient : garderie, transport privé, cours du mercredi.

Cette inadéquation entre l’offre publique et les besoins réels transforme la gratuité officielle en obligation de consommer du privé. Les familles se retrouvent contraintes de payer pour des services qui devraient logiquement accompagner une scolarité réellement accessible.

Des factures qui explosent les budgets

Les chiffres révèlent l’ampleur de cette charge cachée. À Constantine, une crèche privée facture entre 18 000 et 32 000 dinars par mois pour trois enfants, incluant frais de transport et activités. Le coût moyen par enfant est donc estimé entre 6 000 et 12 000 dinars mensuels. Pour ces familles, la charge annuelle peut atteindre jusqu’à 400 000 dinars, un montant lourd face à des revenus médian souvent inférieurs à 60 000 dinars par mois.

À Oran, malgré une offre plus diversifiée, les ordres de grandeur restent identiques. Cette convergence des prix entre les deux grandes villes révèle que le phénomène dépasse les particularités locales pour toucher l’ensemble du territoire. Convertis au taux parallèle, ces montants représentent entre 770 et 1 370 euros annuels, des sommes considérables pour des ménages dont le revenu médian dépasse rarement 60 000 dinars mensuels.

L’absurdité de la situation saute aux yeux quand on compare ces dépenses aux salaires. Un couple qui gagne 90 000 dinars à deux consacre en moyenne 40 000 dinars aux seuls frais scolaires périphériques de ses enfants. Il lui reste donc 50 000 dinars pour assumer logement, alimentation, santé, habillement et déplacements dans un contexte d’inflation galopante.

Une fiscalité déguisée qui frappe les classes moyennes

Cette situation révèle en creux l’existence d’une véritable fiscalité parallèle, non déclarée et socialement régressive. L’État subventionne le pain à 10 dinars la baguette mais abandonne les parents face au coût du transport scolaire. Il finance l’impression des manuels mais pas les heures de garde qui permettent aux parents de travailler pour les acheter. Il paie les enseignants mais laisse les familles assumer seules l’accès effectif à l’enseignement.

Le paradoxe atteint son comble quand on sait que dans un pays où le SNMG plafonne à 20 000 dinars, certaines familles dépensent l’équivalent de trois salaires minimums pour les seuls à-côtés de la scolarité. Cette réalité transforme l’école gratuite en luxe inabordable pour une large partie de la population, créant de facto une sélection sociale dès la petite enfance.

La fabrique précoce des inégalités

Cette économie parallèle de l’éducation redessine silencieusement la carte sociale de l’école algérienne. Les familles solvables investissent massivement dans un écosystème privé de qualité : garderies bien équipées, transports sécurisés, activités spécialisées qui développent les compétences et la confiance en soi. À l’inverse, les ménages modestes bricolent des solutions de fortune, renoncent aux activités payantes ou se contentent d’un service minimum.

Cette fracture se cristallise dès la maternelle, bien avant les premiers classements scolaires. Les enfants des familles aisées arrivent en cours préparatoire avec un bagage linguistique, culturel et social plus étoffé. Cette avance précoce, loin de se résorber, s’amplifie tout au long de la scolarité, transformant les différences de classe en destins éducatifs divergents.

L’école algérienne reproduit ainsi mécaniquement les inégalités qu’elle prétend combattre. En théorie, tous les enfants bénéficient des mêmes chances dans un système gratuit et méritocratique. En pratique, seuls ceux dont les parents peuvent financer l’accès réel à une éducation de qualité tirent leur épingle du jeu.

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