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Algérie – Des pêcheurs d’Azeffoun tirent la sonnette d’alarme: «d’ici dix ans, il n’y aura plus de poisson»

Par Maghreb Émergent
18 novembre 2016
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Azzedine et Abdelkader, deux pêcheurs artisans d’Azeffoun, sont presque catégoriques : « d’ici 10 ans au plus tard, il n’y aura plus de poisson à pêcher », s’inquiètent-ils en raison du déclin de la ressource halieutique, conséquence de la pêche illicite et du chalutier.

 

« Il y a cinq ans, les pêcheurs des petits métiers ramenaient 30 à 40 kilogrammes de poisson chacun contre quatre actuellement », se souvient Azzedine Arhab, armateur pêcheur et président de l’association de la pêche artisanale et de l’environnement « le Dauphin » de Tizi Ouzou.
« Nous vivons une catastrophe », avise Abdelkader pêcheur artisan depuis 25 ans.
Comme partout dans le monde, le chalutier est considéré comme étant l’ennemi de la ressource puisque ce bateau de pêche utilise le filet dérivant appelé le chalut lequel racle le fond marin causant la détérioration des habitats et organismes posés sur ce fond.
Outre la pêche dans les zones interdites, la flottille de chalutiers exerce une pression sur la ressource sans respect des normes en vigueur.
M. Arhab cite, à ce titre, le port d’Azeffoun qui dispose de deux chalutiers mais en reçoit une trentaine venant d’autres wilayas pour séjourner en mer pendant 24 heures.
« C’est de la surpêche. C’est-à-dire que le fond marin ne se repose pas. Or, les normes disent que le chalutier sort du port le soir et rentre le lendemain matin et ne travaille pas pendant la journée », explique-t-il.
La flottille algérienne de sardiniers est la plus grande au niveau de la méditerranée avec 1.200 senneurs. Mais ce professionnel regrette le fait qu’une partie de cette flottille, acquise durant les dix dernières années, soit faite sans études d’impact sur la ressource.
D’ailleurs, cette association attribue la diminution de 50% de la ressource, observée depuis 2005, à l’augmentation de la flottille de pêche.

Pêche illicite et impunité

« Beaucoup de professionnels ont transgressé la période d’arrêt biologique durant 2016 sans être, pour autant, pénalisés par les autorités compétentes », observe-t-il.
Pourtant, la nouvelle loi sur l’arrêt biologique stipule que lorsqu’un chalutier est en infraction, le patron du bateau est passible de prison, le matériel de pêche saisi et l’armateur est interdit de travailler pendant 5 ans.
Pendant le repos biologique, il n’y a que la pêche aux crevettes qui est tolérée.
« Mais l’application de la réglementation est loin d’être rigoureuse alors que l’Algérie a ratifié toutes les conventions liées à la pêche responsable et durable », regrette-t-il.
D’après les études effectuées par des organisations internationales, le chalutier détruit 10 kgs de poisson en capturant un kilogramme de façon illicite.
Ce professionnel, qui exerce ce métier de père en fils, relève à ce titre l’importance des inspecteurs de pêche dans le contrôle de la pêche illicite : « Ces inspecteurs existent mais n’ont aucune autorité pour intervenir et prendre des décisions par rapport à ce genre d’infractions ».
De son côté, Abdelkader témoigne d’un autre type de pêche illégale pratiquée par des chalutiers qui chassent dans des endroits de 9 brasses de profondeur (une brasse=1,80 mètre), ce qui est strictement interdit vu le risque d’endommagement des larves de poissons.
Or, la loi interdit au chalutier de pêcher dans les zones inférieures à 25 brasses lesquelles sont réservées uniquement aux petits métiers (navires de 6 à 24 mètres).
« C’est toute la côte algérienne qui souffre de ce problème », regrette Abdelkader, pêcheur artisan depuis 25 ans.

Des espèces disparues, d’autres menacées

L’autre facteur aggravant le déclin de la ressource halieutique est la pêche de plaisance sous différentes formes qui est, de surcroît, non réglementée.
« A Azeffoun, nous avons 60 pêcheurs artisans, alors que le nombre d’embarcations de pêche de plaisance est estimé à 220 barques qui capturent et commercialisent leur poisson sans autorisation. De plus, leurs équipements de pêche ne sont pas contrôlés », explique Azzeddine.
En outre, ce petit port de pêche n’échappe pas au braconnage qui prospère dans les plages d’échouage avec une trentaine de braconniers recensés au niveau des côtes d’Azeffoun.
La chasse sous-marine est un autre phénomène qui a également une part de responsabilité dans la réduction de la production voire même dans l’extinction de certaines espèces de poisson.
« En 2015, une équipe de plongeurs est restée pendant quatre mois dans la région d’Azeffoun pour pêcher. Leurs captures ne sont même pas recensées dans les campagnes d’évaluation de la ressource », s’offusque-t-il.
A ce propos, il cite le cas de la cigale, un poisson qui vit dans les fonds accidentés mais qui disparu des côtes algériennes à cause de la plongée sous-marine.
Les pêcheurs artisans peuvent capturer trois à cinq pièces seulement dans l’année, alors que les plongeurs ramènent jusqu’à 30 pièces par jour, et ce, en profitant de la période de reproduction de cette espèce qui se rapproche plus de la côte pour y poser ses œufs.
Le mérou jaune est en voie de disparition à cause de cette pratique. Pendant la période de reproduction, cette espèce séjourne pendant trois mois près des côtes.
Les adeptes de la plongée sous-marine pêchent quotidiennement jusqu’à 70 kgs de ce poisson : « Ce que je ne peut pas réaliser pendant une année complète », affirme Abdelkader.
La guitare, le marbré et le loup tigré sont aussi des espèces menacées. C’est que le déclin de la ressource est l’une des raisons amenant les pêcheurs artisans à abandonner leur métier. A Azeffoun, plus de 45% des pêcheurs exerçant dans la pêche artisanale ont quitté cette activité, selon un recensement réalisé par cette association en 2015.
Pour promouvoir la pêche durable, cette association s’est alliée avec d’autres associations professionnelles pour créer un réseau de pêche artisanale qui plaide pour l’application rigoureuse de la réglementation, le développement des récifs artificiels et la mise en place de zones marines protégées afin de permettre la régénération de la ressource.
« Nous sommes dans le rouge. Ce n’est pas ma situation qui me préoccupe, c’est celle des générations futures », prévient Abdelkader.

 

 

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