Trois ans après la crise diplomatique provoquée par le revirement espagnol sur le Sahara occidental, les relations entre Alger et Madrid connaissent en 2025 un net redémarrage économique, sans véritable normalisation politique. Les échanges commerciaux repartent fortement, les entreprises reviennent, mais le traité d’amitié reste suspendu. Un réchauffement sous conditions, où l’économie sert de variable d’ajustement à un contentieux toujours non résolu.
Trois ans après le virage espagnol sur le Sahara occidental, Alger et Madrid renouent avec les échanges commerciaux, mais sans vraiment refermer la parenthèse politique ouverte en 2022. L’économie repart, la diplomatie reste sous contraintes.
Les médias algériens, contrairement à ceux du Maroc, accordent peu d’attention à une scène politique espagnole pourtant fragilisée par les affaires de corruption visant l’entourage du Premier ministre Pedro Sánchez et par la poussée de la droite et de l’extrême droite. La déroute électorale du PSOE en Estrémadure illustre cette vulnérabilité, à l’approche d’un cycle électoral incertain.
À Rabat, cette instabilité est scrutée avec attention. L’hebdomadaire Tel Quel résumait récemment l’enjeu en Une : « Maroc-Espagne, une idylle à la merci des urnes ». La question est centrale : le rapprochement stratégique engagé depuis 2022 résistera-t-il à une éventuelle alternance à Madrid ? Et, en miroir, qu’adviendrait-il alors de la relation avec Alger ?
Cette toile de fond éclaire le bilan 2025 des relations algéro-espagnoles. Trois ans après le « giro » diplomatique de Madrid sur le Sahara occidental, la relation bilatérale sort progressivement de la crise, sans retrouver son niveau politique antérieur. Si la normalisation reste incomplète, le redémarrage économique, lui, est manifeste.
Une crise politique, une reprise économique assumée
Le point de rupture demeure celui de mars 2022, lorsque l’Espagne a soutenu le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, provoquant le rappel de l’ambassadeur algérien, la suspension du traité d’amitié de 2002 et le gel des échanges commerciaux hors hydrocarbures.
En 2025, ce gel appartient clairement au passé sur le plan économique. Selon les données du ministère espagnol de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme, les exportations espagnoles vers l’Algérie ont progressé de plus de 160 % entre janvier et mai 2025, atteignant près de 900 millions d’euros.
La reprise est particulièrement visible dans les infrastructures portuaires.
Au port de Barcelone, principal hub espagnol vers l’Afrique du Nord, les exportations de conteneurs à destination de l’Algérie ont augmenté de plus de 3 800 % sur les onze premiers mois de l’année. Machines industrielles, céramique, produits agroalimentaires, équipements électriques et biens intermédiaires figurent parmi les principaux postes.
Pour les entreprises espagnoles, il s’agit d’un rattrapage après une période de recul face à la concurrence italienne et turque. Pour l’Algérie, cette reprise répond à des besoins industriels concrets, dans un contexte de relance de l’investissement public et de réorganisation des chaînes d’approvisionnement.
L’énergie : continuité
Le secteur énergétique a, lui, été volontairement tenu à l’écart de la crise. L’Algérie est restée un fournisseur majeur de gaz naturel pour l’Espagne via le gazoduc Medgaz. Mais là encore, la relation s’est « économisée » : Madrid a accéléré sa diversification énergétique depuis 2022, au prix de surcoûts, afin de réduire toute dépendance stratégique exclusive. Cette évolution limite la portée politique du levier énergétique, sans remettre en cause la place de l’Algérie dans le mix gazier espagnol.
Migration et échanges : une interdépendance pragmatique
La hausse des arrivées de migrants par pateras aux Baléares en 2025, en grande partie depuis les côtes algériennes, a contribué à remettre la coopération opérationnelle au centre de la relation bilatérale. Si la migration est avant tout un dossier sécuritaire, elle agit aussi comme un stabilisateur indirect des relations économiques, en imposant un dialogue constant entre administrations.
Sans devenir conflictuel, le dossier migratoire, thème central de la droite et de l’extrême droite espagnoles, s’est imposé comme l’un des principaux axes du dialogue entre Madrid et Alger.
L’économie comme variable centrale
Sur le plan politique, la désescalade reste strictement encadrée. La visite du ministre algérien de l’Intérieur en Espagne, en février 2025, illustre cette reprise contrôlée des contacts officiels, limitée à des dossiers techniques. Le traité d’amitié de 2002 demeure suspendu, et Madrid n’est pas revenue sur son soutien au plan marocain pour le Sahara occidental.
Mais si les relations se sont partiellement réchauffées en 2024-2025, c’est aussi parce que Madrid n’a pas franchi une ligne politique supplémentaire. Contrairement à la France de Macron, qui a explicitement reconnu en 2024 la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, l’Espagne s’est gardée d’aller plus loin que son soutien au plan d’autonomie, sans reconnaissance formelle de souveraineté. Sanchez évite d’alourdir le différend avec Alger, mais il s’épargne aussi une crise au sein de sa coalition, les autres partis de gauche étant ouvertement opposé au virage politique pro-marocain.
C’est précisément ce non-franchissement qui permet aujourd’hui la reprise économique avec Alger. À l’inverse de Paris, Madrid a conservé une position intermédiaire qui rend la relation économiquement praticable, politiquement tolérable, mais stratégiquement bridée.
Le bilan 2025 est sans ambiguïté : l’économie est redevenue le moteur de la relation algéro-espagnole, tandis que la politique en fixe les limites. Les échanges ont repris, les entreprises sont revenues, les flux se sont rétablis, mais la normalisation demeure conditionnelle. Le contentieux saharien continue de structurer, en creux, l’ensemble de la relation.
Dans cette équation triangulaire entre Rabat, Madrid et Alger, l’Espagne avance désormais sur une ligne de crête. Elle cherche à consolider son partenariat stratégique avec le Maroc tout en maintenant une relation économiquement viable avec l’Algérie. Le commerce joue ici le rôle de garde-fou : il permet d’éviter une rupture durable, sans créer les conditions d’un rapprochement politique de fond.
Le redémarrage économique observé en 2025 apparaît moins comme un rapprochement que comme une gestion pragmatique du risque. L’Algérie, confrontée à une séquence géopolitique complexe, accepte une normalisation économique sans concession politique.
L’Espagne, de son côté, n’a pas effacé la rupture de 2022, mais en a rendu le coût soutenable. Entre Alger et Madrid, l’économie stabilise la relation sans la refonder. Une coexistence fonctionnelle, encore loin d’un véritable réchauffement stratégique.