Alors que les crises passées se réglaient encore par des échanges discrets, les discussions entre responsables algériens et français se sont aujourd’hui réduites à un simple échange de “notes verbales”, comme ce fut le cas pour l’affaire des valises diplomatiques.
En diplomatie, ce format sert habituellement à traiter des questions techniques. Cette fois, il est devenu le seul canal actif entre Alger et Paris. Une situation inédite dans l’histoire des relations, pourtant marquée par de nombreuses crises. Ces échanges minimalistes reflètent une méfiance extrême.
Traditionnellement, tensions et désaccords se géraient dans la discrétion, à l’abri des caméras et des médias, pour ménager l’image de chacun et éviter la rupture frontale. Aujourd’hui, cette règle implicite a volé en éclats. En France, menaces et ultimatums ont été publiquement brandis, provoquant comme on pouvait s’y attendre une réaction de rejet à Alger. Même la question des OQTF aurait pu être traitée sans bruit — l’Algérie n’étant pas plus réticente que ses voisins — mais le contexte politique français a changé la donne.
Sous l’emprise de la droite dure
Avec l’affaiblissement politique d’Emmanuel Macron, la droite dure, alliée de fait à l’extrême droite, a pris la main sur le dossier. Bruno Retailleau, alors ministre de l’Intérieur et en quête de la présidence de Les Républicains, a rompu avec la diplomatie discrète, multipliant les attaques publiques contre Alger.
Il est allé jusqu’à imposer des restrictions inédites, contraires à la Convention de Vienne sur les privilèges diplomatiques. Le Quai d’Orsay, plutôt que de défendre la lettre et l’esprit de la convention, a proposé via “note verbale” à l’Algérie d’accepter ces limitations. Comme on pouvait s’y attendre, Alger a répondu par le même canal… pour rejeter ce “compromis”.
Le virage de Macron sur le Sahara occidental a, lui aussi, nourri la crispation. Mais à Alger, personne ne doute que Paris reste aligné sur les positions marocaines.
La présidentielle française en ligne de mire
Un élément nouveau pèse lourd : la relation Algérie–France est devenue un carburant électoral. À trois ans de la présidentielle de 2027, le “sujet Algérie” promet de rester au centre des polémiques.
L’affaire Sansal, sur fond de tensions autour du génocide à Gaza, a envenimé la situation. Noëlle Lenoir, présidente du comité de soutien à l’écrivain, a franchi la ligne rouge en évoquant “des millions d’Algériens prêts à sortir des couteaux dans le métro” — une sortie à la fois outrancière et raciste. L’affaire Boukhors s’est ajoutée au climat délétère.
Puis est venu l’ultimatum public de François Bayrou exigeant la coopération immédiate d’Alger sur les expulsions. Une erreur, selon Henri Guaino : “Si vous lancez des ultimatums sur la scène publique, vous êtes sûr d’une chose : ça ne peut pas marcher.”
Pressions limitées
Ces sorties publiques illustrent la tentation française de miser sur la pression médiatique. Mais dans les faits, les marges de manœuvre de Paris restent limitées.
La France dispose encore de leviers, comme le blocage des discussions voulues par l’Algérie pour réviser l’accord d’association avec l’UE, ou la réduction des visas. Macron a déjà fixé une baisse de 30 %, ce qui complique la vie des Algériens, mais ne suffit pas à infléchir la position d’Alger.
Pour Akram Belkaïd, rédacteur en chef du Monde diplomatique, une donnée échappe à Paris . “Les responsables algériens sont insensibles aux menaces, car contrairement au passé, ils estiment que l’Algérie peut se passer de la France et trouver d’autres partenaires”, a-t-il déclaré dans un entretien à France Culture.
La crise semble s’amplifier d’autant que la diplomatie algéro-française ne se joue plus dans le huis clos feutré des chancelleries, mais sur la place publique. Un terrain instable, où chaque déclaration nourrit la crise plutôt que de l’apaiser.