En 2025, la relation entre Alger et Paris n’a pas rompu, mais elle s’est durablement abîmée. De la loi algérienne criminalisant le colonialisme à la position française sur le Sahara occidental, les lignes de fracture se sont élargies, tandis que la politique intérieure française pèse de plus en plus lourd sur le dossier algérien. L’économie, elle, traduit un déclassement progressif de l’influence française.
L’année 2025 s’achève comme elle a commencé : dans la crispation. L’adoption par l’Assemblée populaire nationale de la loi criminalisant le colonialisme français, suivie d’une réaction immédiate de Paris qualifiant l’initiative d’« hostile », en offre une illustration presque mécanique. Entre Alger et Paris, l’histoire ne passe toujours pas. Plus encore, l’idée sous-jacente à la création d’une commission d’historiens, censée aboutir à une lecture consensuelle du passé colonial, apparaît désormais pour ce qu’elle est : une construction fragile, déconnectée de la réalité.
Le passé, lourd et sanglant, ne constitue toutefois pas l’unique facteur d’une relation bilatérale profondément dégradée, installée de manière continue au bord de la rupture. La crise s’est aussi nourrie de la fragilité des liens institutionnels entre les deux pays, un temps masquée par une relation personnelle entre les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron. Cette proximité, présentée comme un levier, a fini par révéler ses limites : elle ne pouvait durablement compenser l’absence de convergence stratégique et la persistance de désaccords de fond.
Une dynamique de dégradation
2025 s’inscrit dans la continuité d’une dynamique de dégradation amorcée dès 2024, avec la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Alger ne s’est jamais fait d’illusions sur le soutien traditionnel de la France à Rabat, décisif tant au sein de l’ONU que de l’Union européenne. Mais cette reconnaissance marque un saut qualitatif. Elle va bien au-delà du « virage » opéré par l’Espagne de Pedro Sánchez et heurte de plein fouet les principes de la légalité internationale. À cette dimension politique s’est ajouté, semble-t-il, un sentiment de trahison personnelle au sommet de l’État algérien.
Dans le même temps, l’affaiblissement d’Emmanuel Macron sur la scène intérieure française, consécutif à la dissolution ratée de l’Assemblée nationale, a ouvert un espace politique à une droite dure et à une extrême droite ouvertement hostile à l’Algérie. Cette dernière est devenue un thème récurrent du débat politique interne français, souvent instrumentalisé à des fins électorales. La désignation de Bruno Retailleau au poste de ministre de l’Intérieur a accentué cette tendance, l’Algérie s’imposant comme l’un des axes quasi exclusifs de son marketing politique.
L’Algérie, sujet de politique intérieure en France
Dès lors, chaque événement, voire chaque fait divers, s’est transformé en ingrédient d’une dégradation accélérée de la relation bilatérale. La capacité des médias du groupe Bolloré à dicter l’agenda politico-médiatique français s’est confirmée de manière éclatante dans le traitement du dossier algérien. Les répliques médiatiques algériennes n’ont pas été en reste. Les mots échangés de part et d’autre ne renvoient plus à la même réalité, alimentant une crise qui se nourrit désormais d’elle-même. Expulsions d’influenceurs décidées par Paris sans respect des usages diplomatiques, renvois immédiats par Alger, affaire Sansal rapidement instrumentalisée avec des dérives ouvertement racistes — la présidente de son comité de soutien évoquant des « millions » d’Algériens prêts à commettre des carnages —, affaire Amir DZ… Un long feuilleton de tensions s’est installé, structurant le quotidien de la relation.
Une tentative de désescalade a bien été engagée à la fin du mois de mars, à travers un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. Elle est restée sans effet tangible. Le mois d’avril a été marqué par un échange d’expulsions de diplomates, donnant le sentiment qu’un seuil critique avait été franchi, sans pour autant déboucher sur une rupture formelle.
2025 confirme une évolution durable : celle d’une relation bilatérale désormais installée dans la défiance, avec des attentes profondément divergentes. La politique intérieure française pèse lourdement sur cette relation. Toute initiative envers Alger est rapidement absorbée par les débats sur l’immigration, la mémoire de la guerre d’Algérie ou les équilibres électoraux internes, ce qui réduit fortement la capacité de l’exécutif français à engager des gestes structurants et durables, y compris sur le plan économique.
Pas de rupture en économie, mais une érosion progressive
Sur ce dernier plan, la crise n’a pas provoqué de rupture brutale, mais elle a confirmé une érosion progressive. En 2025, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France se situent toujours dans une fourchette comprise entre 10 et 12 milliards d’euros par an, un niveau globalement stable depuis 2021. En valeur nominale, le commerce bilatéral se maintient, mais il ne progresse pas, alors même que le commerce extérieur global de l’Algérie a fortement augmenté.
Cette stabilité apparente masque un recul relatif de la France dans la hiérarchie économique algérienne. Alors que Paris figurait encore parmi les deux ou trois premiers partenaires commerciaux au milieu des années 2010, elle se situe désormais au-delà du trio de tête, dépassée par la Chine et concurrencée par l’Italie et l’Espagne. Le volume des échanges ne s’effondre donc pas, mais la place de la France recule, traduisant une perte d’influence économique plus qu’un choc commercial.
La tendance est encore plus nette sur le temps long. Entre 2018 et 2025, les échanges algéro-français n’ont progressé que faiblement, de l’ordre de un à deux milliards d’euros, tandis que ceux de l’Algérie avec des partenaires comme la Chine, la Turquie ou certains pays méditerranéens ont augmenté de plusieurs milliards d’euros en quelques années. Cette divergence renvoie moins à une conjoncture défavorable qu’à un décrochage structurel, engagé bien avant la crise politique actuelle mais désormais accentué par celle-ci.
Les investissements directs français en Algérie suivent la même logique. Le stock d’IDE est estimé entre 2,5 et 3 milliards d’euros, un niveau relativement stable mais marqué par un faible renouvellement. En 2025, peu de nouveaux projets français d’envergure ont été annoncés, tandis que des acteurs asiatiques, turcs ou méditerranéens multiplient les initiatives. La France conserve ainsi des positions historiques, mais investit peu dans les secteurs d’avenir, limitant sa capacité à se repositionner à moyen terme.
La défiance est durable
La présence des entreprises françaises demeure néanmoins significative. Environ 400 entreprises françaises ou à capitaux français sont implantées en Algérie et emploient entre 35 000 et 40 000 personnes. Cette continuité atteste d’une relation économique qui n’est ni rompue ni marginalisée. Elle ne se traduit toutefois plus par un accès privilégié aux grands projets structurants, de plus en plus attribués à des concurrents perçus comme plus compétitifs ou politiquement plus neutres.
Au total, en 2025, la France représente moins de 10 % du commerce extérieur algérien, contre une part sensiblement plus élevée une décennie plus tôt. Cette évolution résume l’état actuel de la relation économique : ni sanction, ni effondrement, mais un déclassement progressif dans un environnement devenu plus concurrentiel et moins tolérant aux rentes héritées du passé.
À la fin de 2025, la relation algéro-française n’est donc pas rompue, mais la défiance s’est installée comme une donnée durable.