Algérie : le « miracle » des start-up retombe sur terre | Maghreb Émergent

M A G H R E B

E M E R G E N T

Actualités

Algérie : le « miracle » des start-up retombe sur terre

Par Samy Injar
18 juin 2025

Six ans après le lancement de sa stratégie start-up, l’Algérie change de cap. L’heure n’est plus aux promesses, mais à un constat : il faut regarder au-delà des frontières. Mais le temps joue-t-il encore en sa faveur ?

Cela a tout l’air d’un demi-aveu : le modèle économique actuel des start-up ne les fait pas vivre. En déplacement à Mostaganem cette semaine, le ministre de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Noureddine Ouadah, a salué les performances d’une jeune entreprise exportant des services numériques vers des pays arabes. Mais derrière les mots, une inflexion se dessine : le modèle économique actuel des start-up algériennes ne fonctionne pas, et l’avenir passerait désormais par l’exportation de solutions technologiques.

Ce basculement rhétorique acte en creux l’échec partiel du modèle fondé sur les aides publiques et les commandes domestiques. Six ans après le lancement en fanfare de la politique nationale des start-up, la monétisation reste dérisoire, les solutions développées sont peu achetées, et l’écosystème peine à décoller.

Des subventions, peu de clients

En Algérie, la majorité des start-up vivent de subventions plutôt que de revenus commerciaux. Elles participent à des concours, obtiennent des exonérations fiscales et bénéficient de locaux publics, mais la monétisation de leurs produits ou services ne suit pas. Les grandes entreprises – y compris publiques – ne jouent pas le jeu : moins de 8 % des start-up déclarent avoir signé un contrat avec une entreprise locale selon des données du ministère publiées en 2023.

Le secteur financier reste hermétique : pas de filière FinTech réglementée, une bourse secondaire cadavérique, et une quasi-absence de business angels locaux. Résultat, les levées de fonds notables se font à l’étranger, comme celle de Yassir, valorisée à plus de 1,5 milliard de dollars, mais enregistrée juridiquement… aux États-Unis.

Quant à l’outsourcing local, il reste embryonnaire. Les PME comme les grands comptes externalisent peu, par méfiance ou manque de culture numérique. Les start-up qui survivent s’orientent vers l’international, mais souvent en freelance, dans l’informel, et hors radar fiscal.

Export : une ambition et un syndrome du cabas

Le ministre Ouadah mise désormais sur l’exportation de services numériques – SaaS, cybersécurité, EdTech, e-santé, AgriTech… Des domaines prometteurs, certes. L’Algérie compte plus de 2 500 start-up labellisées depuis 2020, et des milliers d’ingénieurs compétents formés chaque année. Le coût horaire moyen d’un développeur algérien reste inférieur à 10 dollars, contre 60 à 80 dollars en Europe de l’Ouest.

La réalité économique du pays rattrape cependant vite les efforts de facilitation consentis ces dernières années. Les exportateurs de services peuvent conserver la totalité de leurs revenus en devises, mais préfèrent, en majorité, les encaisser à l’étranger pour ne pas être pénalisés par un taux de change officiel trop défavorable lorsqu’ils ont besoin de convertir une partie de leurs recettes en dinars. L’exportation de services numériques fonctionne à petit flux, comme le commerce du cabas, dans l’informel. Cela ne fait pas institution. Preuve en est, aucun « label Algérie Tech » officiel n’existe pour promouvoir l’offre algérienne et la rendre plus visible sur les marchés internationaux.

Les startuppers qui décrochent des contrats à l’étranger travaillent depuis l’Algérie, mais encaissent donc leurs revenus à l’étranger, sur des plateformes comme Upwork ou Payoneer. L’écosystème ne se consolide pas, les flux échappent à l’économie formelle, et aucune statistique fiable ne permet de mesurer le poids réel des services numériques exportés.

Un virage qui arrive trop tard ?

Cette stratégie export arrive-t-elle trop tard ? C’est la question qui fâche. Car les entreprises du Nord intègrent de plus en plus l’intelligence artificielle dans leurs processus, réduisant leur dépendance à l’outsourcing.

Avec GitHub Copilot, Notion AI ou Google Gemini, un développeur européen produit plus, plus vite, et à coût marginal, sans passer par l’international. Pour les pays émergents comme l’Algérie, la fenêtre de compétitivité se rétrécit. Le seul différentiel de coût ne suffit plus : il faut apporter une expertise, une spécialisation, une innovation – trois piliers encore fragiles dans le tissu start-up local.

La vitrine se fissure

Pendant cinq ans, le ministère de l’Économie de la connaissance a fonctionné comme une vitrine modernisante de l’action publique, bénéficiant du soutien direct du président Abdelmadjid Tebboune. Des forums, des labellisations, des espaces de coworking ont fleuri.

Mais les success stories se comptent sur les doigts d’une main, et le budget public continue d’entretenir un écosystème qui peine à sortir de sa phase « pilote ». Les start-up restent dans un entre-deux : trop petites pour l’export, trop faibles pour le marché intérieur, et trop dépendantes d’un État qui tarde à leur offrir une vraie économie.

ARTICLES SIMILAIRES

Façade du siège de la Bourse d’Alger, un marché marqué par la faible liquidité et des échanges sporadiques.
Actualités Algérie

5,4 milliards de dollars de capitalisation : la Bourse d’Alger est-elle vraiment compétitive ?

Avec une capitalisation de 700 milliards de dinars (5,4 milliards de dollars), la Bourse d’Alger affiche une timide progression de 1,17% sur un an. Un chiffre qui interroge quand on… Lire Plus

En vertu de la loi, les mineurs sont sous la protection des institutions espagnoles
Á la une Actualités

Baléares : le PP veut étendre le rapatriement des 7 mineurs algériens à 300 autres, les ONG rejettent

Le Parti Populaire (PP), au pouvoir dans les îles Baléares, a adressé au gouvernement central espagnol une demande visant à étendre aux mineurs algériens non accompagnés le rapatriement de sept… Lire Plus

Actualités

La figue sèche de Beni Maouche est le fruit le plus cher d’Algérie

La figue sèche de Beni Maouche atteint un nouveau sommet sur le marché algérien. Ces jours-ci, le kilogramme de la variété Taâmriwt, grand calibre, se négocie entre 2 300 et… Lire Plus

Á la une Actualités

300 dinars dz pour un euro, scénario pour un parallèle qui enfle

Au moment où l’assemblée nationale s’apprête à débattre du plus grand projet de budget jamais proposé par un gouvernement, les incertitudes sont nombreuses sur la conjoncture de 2026. Un paramètre, pourtant, se détache par la constance de sa… Lire Plus

Actualités Économie

Industrie publique : croissance de 6,3% au 2e trimestre portée par l’énergie et les matériaux de construction

La production industrielle du secteur public national affiche une hausse de 6,3% au deuxième trimestre 2025, selon le rapport de l’indice de la production industriel publié par l’Office national des… Lire Plus