Six ans après le lancement de sa stratégie start-up, l’Algérie change de cap. L’heure n’est plus aux promesses, mais à un constat : il faut regarder au-delà des frontières. Mais le temps joue-t-il encore en sa faveur ?
Cela a tout l’air d’un demi-aveu : le modèle économique actuel des start-up ne les fait pas vivre. En déplacement à Mostaganem cette semaine, le ministre de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Noureddine Ouadah, a salué les performances d’une jeune entreprise exportant des services numériques vers des pays arabes. Mais derrière les mots, une inflexion se dessine : le modèle économique actuel des start-up algériennes ne fonctionne pas, et l’avenir passerait désormais par l’exportation de solutions technologiques.
Ce basculement rhétorique acte en creux l’échec partiel du modèle fondé sur les aides publiques et les commandes domestiques. Six ans après le lancement en fanfare de la politique nationale des start-up, la monétisation reste dérisoire, les solutions développées sont peu achetées, et l’écosystème peine à décoller.
Des subventions, peu de clients
En Algérie, la majorité des start-up vivent de subventions plutôt que de revenus commerciaux. Elles participent à des concours, obtiennent des exonérations fiscales et bénéficient de locaux publics, mais la monétisation de leurs produits ou services ne suit pas. Les grandes entreprises – y compris publiques – ne jouent pas le jeu : moins de 8 % des start-up déclarent avoir signé un contrat avec une entreprise locale selon des données du ministère publiées en 2023.
Le secteur financier reste hermétique : pas de filière FinTech réglementée, une bourse secondaire cadavérique, et une quasi-absence de business angels locaux. Résultat, les levées de fonds notables se font à l’étranger, comme celle de Yassir, valorisée à plus de 1,5 milliard de dollars, mais enregistrée juridiquement… aux États-Unis.
Quant à l’outsourcing local, il reste embryonnaire. Les PME comme les grands comptes externalisent peu, par méfiance ou manque de culture numérique. Les start-up qui survivent s’orientent vers l’international, mais souvent en freelance, dans l’informel, et hors radar fiscal.
Export : une ambition et un syndrome du cabas
Le ministre Ouadah mise désormais sur l’exportation de services numériques – SaaS, cybersécurité, EdTech, e-santé, AgriTech… Des domaines prometteurs, certes. L’Algérie compte plus de 2 500 start-up labellisées depuis 2020, et des milliers d’ingénieurs compétents formés chaque année. Le coût horaire moyen d’un développeur algérien reste inférieur à 10 dollars, contre 60 à 80 dollars en Europe de l’Ouest.
La réalité économique du pays rattrape cependant vite les efforts de facilitation consentis ces dernières années. Les exportateurs de services peuvent conserver la totalité de leurs revenus en devises, mais préfèrent, en majorité, les encaisser à l’étranger pour ne pas être pénalisés par un taux de change officiel trop défavorable lorsqu’ils ont besoin de convertir une partie de leurs recettes en dinars. L’exportation de services numériques fonctionne à petit flux, comme le commerce du cabas, dans l’informel. Cela ne fait pas institution. Preuve en est, aucun « label Algérie Tech » officiel n’existe pour promouvoir l’offre algérienne et la rendre plus visible sur les marchés internationaux.
Les startuppers qui décrochent des contrats à l’étranger travaillent depuis l’Algérie, mais encaissent donc leurs revenus à l’étranger, sur des plateformes comme Upwork ou Payoneer. L’écosystème ne se consolide pas, les flux échappent à l’économie formelle, et aucune statistique fiable ne permet de mesurer le poids réel des services numériques exportés.
Un virage qui arrive trop tard ?
Cette stratégie export arrive-t-elle trop tard ? C’est la question qui fâche. Car les entreprises du Nord intègrent de plus en plus l’intelligence artificielle dans leurs processus, réduisant leur dépendance à l’outsourcing.
Avec GitHub Copilot, Notion AI ou Google Gemini, un développeur européen produit plus, plus vite, et à coût marginal, sans passer par l’international. Pour les pays émergents comme l’Algérie, la fenêtre de compétitivité se rétrécit. Le seul différentiel de coût ne suffit plus : il faut apporter une expertise, une spécialisation, une innovation – trois piliers encore fragiles dans le tissu start-up local.
La vitrine se fissure
Pendant cinq ans, le ministère de l’Économie de la connaissance a fonctionné comme une vitrine modernisante de l’action publique, bénéficiant du soutien direct du président Abdelmadjid Tebboune. Des forums, des labellisations, des espaces de coworking ont fleuri.
Mais les success stories se comptent sur les doigts d’une main, et le budget public continue d’entretenir un écosystème qui peine à sortir de sa phase « pilote ». Les start-up restent dans un entre-deux : trop petites pour l’export, trop faibles pour le marché intérieur, et trop dépendantes d’un État qui tarde à leur offrir une vraie économie.