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Algérie : les chiffres du PIB face aux angles morts d’une croissance fragile

Par Yasser K
5 septembre 2025

En 2024, le PIB nominal de l’Algérie a bondi de 7,2 %, selon l’ONS. Un chiffre exact, mais à mettre en rapport avec croissance réelle qui n’a été que de 3,7 %, tandis que les déficits extérieurs se creusent, révélant les fragilités d’une économie dépendante et mal diversifiée.

Hier jeudi, l’Office national des statistiques (ONS) a publié son rapport annuel sur les comptes économiques 2021-2024. Le document, présenté comme la photographie la plus complète de la conjoncture nationale, affiche un chiffre choc : le produit intérieur brut (PIB) de l’Algérie aurait bondi de 7,2 % en valeur nominale pour atteindre 36 103,5 milliards de dinars en 2024, soit 269,3 milliards de dollars selon l’ONS. Une performance que les communiqués officiels présentent comme une preuve de résilience, au moment où le pays tente de consolider sa place dans l’économie africaine.

Mais comme souvent, la réalité se cache dans les notes de bas de page. Car derrière le chiffre triomphal se glisse une précision que peu relaient : la croissance réelle, c’est-à-dire celle qui mesure l’évolution du volume de biens et services produits, n’a pas dépassé 3,7 %. Le reste, soit près de la moitié du « bond » annoncé, provient de l’effet prix et de l’inflation implicite du PIB estimée à 3,4 %.

Une économie sous double lecture

Derrière les chiffres officiels, chaque pourcentage est un enjeu politique. Le gouvernement met en avant le signal positif d’une économie « en marche », mais la communauté financière internationale, elle, reste prudente. Le Fonds monétaire international comme la Banque mondiale tablaient déjà sur une croissance algérienne comprise entre 3,6 % et 3,9 % en 2024, cohérente avec les performances des secteurs réels.

Le rapport de l’ONS confirme cette dynamique : le hors hydrocarbures a progressé de 4,8 %, soutenu par une bonne campagne agricole (+5,3 %), une reprise de l’industrie textile (+10,3 %) et un commerce particulièrement dynamique (+7,4 %). Les services, pilier désormais incontestable, pèsent 47,2 % de la valeur ajoutée nationale.

Mais à côté de ces chiffres encourageants, l’ombre des hydrocarbures continue de hanter l’économie. Après une embellie en 2023 (+3,6 %), le secteur a reculé de –1,3 % en volume en 2024. En valeur nominale, sa contribution est en baisse de –4,7 %, conséquence directe de la chute des prix internationaux du baril et d’une contraction de –2,8 % dans l’extraction.

Un PIB record, mais des fondamentaux en recul

C’est là tout le paradoxe. Alors que l’Algérie affiche un PIB « record », son cœur énergétique vacille. Et cette fragilité se reflète dans les échanges extérieurs. En 2024, les exportations totales ont reculé de –2,4 % en volume, et celles hors hydrocarbures se sont effondrées de –20,8 %. À l’inverse, les importations ont continué de croître (+11,9 %), creusant un déficit commercial que même la hausse des services exportés (+14,3 %) n’a pu compenser.

Cette fragilité se lit aussi dans les chiffres publiés par la Banque d’Algérie. En 2024, le solde global de la balance des paiements s’est creusé à –7,5 milliards de dollars, et le compte des transactions courantes a affiché un déficit massif de –10,5 milliards de dollars. Quant au compte capital, il reste quasi nul (–0,038 milliard $), signe d’une incapacité persistante à attirer des flux d’investissement étrangers. Ces déséquilibres financiers rappellent que la croissance affichée par l’ONS repose davantage sur une demande interne subventionnée que sur une consolidation des fondamentaux externes.

L’illusion d’une croissance à 7,2 % masque donc une économie dont la base reste vulnérable. Si l’investissement productif a connu une forte accélération (+9,8 % en volume, +15,3 % en valeur), il repose encore largement sur les dépenses publiques et une demande intérieure en progression de 6,9 %. Mais cette demande est alimentée par des transferts budgétaires et une inflation qui rogne le pouvoir d’achat : la consommation des ménages n’a progressé que de 3,9%, en léger ralentissement par rapport à 2023.

Pour qui lit entre les lignes, l’ONS n’a pas triché. Le rapport distingue clairement les deux notions de croissance, nominale et réelle. Mais la communication publique choisit, elle, le chiffre qui brille. À court terme, cette stratégie donne l’image d’une économie robuste. À long terme, elle mine la crédibilité des institutions et nourrit le scepticisme des acteurs économiques, locaux comme internationaux.

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