À onze jours d’une opération nationale annoncée tambours battant, le nouveau ministre de l’Agriculture a promis ce que peu de pays ont osé tenter : planter un million d’arbres fruitiers en vingt-quatre heures. L’initiative, relayée sur les réseaux sociaux par la direction générale des forêts et la « Green Algeria » de Fouad Maâla, se veut un symbole d’unité nationale autour de l’environnement. Mais derrière le slogan « خضراء بإذن الله » (Verte, si Dieu le veut), plusieurs voix s’interrogent : s’agit-il d’un projet réfléchi ou d’un simple coup de communication politique ?
Une annonce soudaine pour un chantier colossal
Prévue pour le 25 octobre 2025, cette campagne de reboisement concernerait les 58 wilayas du pays, avec des arbres « soigneusement choisis selon les spécificités de chaque région ». Sur le papier, le projet semble noble et porteur d’espoir. Dans les faits, il interroge. Planter un million d’arbres en une seule journée suppose une logistique colossale, identification des terrains, préparation des sols, acheminement des plants, mobilisation des bénévoles, encadrement technique, et surtout suivi post-plantation.
Or, aucune étude préalable n’a été présentée, aucun plan de suivi détaillé n’a été communiqué. Cette absence de transparence nourrit un malaise : comment une telle opération nationale peut-elle être annoncée sur Facebook sans concertation préalable ni communication structurée ?
La participation citoyenne doit être méthodique
L’appel lancé à « tous les citoyens, associations, institutions et familles » a été bien accueilli. Il réveille un sentiment d’appartenance écologique longtemps endormi. Cependant, ce type d’initiative ne peut reposer uniquement sur l’enthousiasme populaire. Les campagnes de plantation exigent une coordination scientifique et technique, car planter n’est que la première étape. Il faut arroser, protéger, entretenir. Sans cela, les plants se dessèchent, et l’opération se transforme en geste symbolique sans lendemain.
Comme le rappellent plusieurs experts forestiers, « un arbre planté sans suivi est un arbre mort-né ». L’expérience d’autres programmes de reboisement menés à la hâte dans le passé en est la preuve, beaucoup d’arbres n’ont jamais survécu à leur première saison.
Fouad Maâla, l’homme au cœur du projet
À la tête de l’opération, Fouad Maâla, président de l’association Algérie Verte, affirme que les plants seront adaptés à chaque région, mais qui soulève de nouvelles questions :Quand ces études d’adaptation ont-elles été réalisées ?Comment ces plants seront-ils distribués sur un territoire aussi vaste ?Qui sont les responsables locaux du suivi ? Ces interrogations restent sans réponse. Et c’est là que le bât blesse : une initiative d’une telle ampleur ne s’improvise pas.
Une culture de l’arbre à réinventer
Au-delà de la polémique, cette campagne met en lumière un autre constat : la culture de l’arbre a disparu de nos villes. Jadis, planter un figuier ou un grenadier dans sa cour était un geste naturel, transmis de génération en génération. Aujourd’hui, l’urbanisation galopante, le béton omniprésent et l’individualisme ont fait disparaître ce lien intime avec la terre. Si le ministre veut vraiment réussir son pari, il devra aller au-delà de la journée symbolique. Il devra réhabiliter cette culture, inscrire le geste dans la durée, et faire de l’arbre un acteur du quotidien algérien, pas seulement un chiffre à afficher sur les réseaux sociaux.
Planter, oui. Populisme, non
L’annonce du million d’arbres aurait pu être un moment fort de mobilisation nationale. Elle risque de devenir un exemple de communication précipitée, si elle n’est pas suivie de faits concrets. Planter un arbre, c’est semer l’avenir. Mais encore faut-il préparer le terrain, au sens propre comme au figuré. L’Algérie a besoin de politiques agricoles cohérentes, planifiées et ancrées dans la réalité, pas de slogans instantanés.
Le 25 octobre sera peut-être un beau jour de fête. Mais il devra surtout être le point de départ d’une véritable stratégie verte, qui associe les agriculteurs, les écoles, les communes, et les citoyens dans un projet national durable. Car la vraie réussite ne se comptera pas en nombre de plants mis en terre, mais en arbres qui survivent, grandissent et verdissent nos horizons.