La 23ᵉ session de la Grande Commission mixte algéro-tunisienne, tenue au Palais du gouvernement à La Kasbah, à Tunis, a donné lieu à un spectacle diplomatique inédit. Sous la supervision du Premier ministre algérien, Saïfi Ghrib, et de la cheffe du gouvernement tunisien, Sara Zaaferani Zenzeri, pas moins de 25 accords, mémorandums d’entente et programmes de coopération ont été paraphés en uneseule journée. Ce chiffre record témoigne de la volontépolitique affichée par les deux pays maghrébins de densifier leurs liens bilatéraux, couvrant un spectreallant de l’énergie aux sports, en passant par la santé et les finances.
L’éventail des domaines est impressionnant. La listecomprend des secteurs vitaux tels que l’énergie et les énergies renouvelables, les ressources en eau, le transport routier, l’industrie pharmaceutique et l’investissement. Un tel volume d’engagements, s’il estmis en œuvre, pourrait théoriquement transformer la dynamique des échanges et jeter les bases d’uneintégration régionale tant espérée. Pourtant, au-delà de l’euphorie des communiqués officiels, une analyse lucide de la nature de ces documents révèle un paradoxe, une majorité de ces textes s’ancre dans la sphère administrative et normative, laissant le vrai moteur économique encore au ralenti.
La prééminence du cadre et du contrôle
Sur les 25 documents signés, une large part concernel’établissement de cadres, de jumelages ou de régulations, des étapes nécessaires, mais non immédiatement productives. L’effort est notable en matière de sécurité et de conformité, l’accord de coopération dans la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive est crucial pour sécuriser les circuits financiers. De même, l’accord sur l’accréditation entre les organismesalgérien et tunisien vise à harmoniser les normes, facilitant théoriquement les échanges de biens.
Cependant, le corps du dispositif repose sur des instruments dont l’impact économique est indirect. On note un jumelage entre la Radio algérienne et la Radio tunisienne, des programmes exécutifs dans la jeunesseet la culture, et des accords de coopération entre l’Institut national de formation et le Centre national de formation tunisien. Ces documents, bien que fondamentaux pour la coopération institutionnelle et sociale, ne sont pas ceux qui génèrent des milliards de dinars de chiffre d’affaires ou des milliers d’emploisproductifs.
Le vrai défi : transformer les mémorandums en moteurs d’investissement
L’analyse chiffrée révèle que les secteurs à fort potentiel de croissance économique sont, quant à eux, majoritairement couverts par des Mémorandumsd’Entente (ME). Ces mémorandums, par essence des déclarations d’intention non contraignantes, concernentdes domaines aussi cruciaux que l’Industriepharmaceutique, l’énergie et les énergies renouvelables, et surtout la promotion de l’investissement.
Le fait de signer un ME entre l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI) et l’Agencetunisienne de promotion de l’investissement extérieur(FIPA) est un signal politique fort. Mais pour que l’Algérie et la Tunisie transforment cette volonté en réalité, il faudrait voir des chiffres concrets, des engagements de financement croisé, la création de coentreprises (joint-ventures) avec des capitaux identifiés, ou des décisions audacieuses d’abolition des entraves non tarifaires qui étouffent le commerce bilatéral.
Les accords sur les ressources en eau (entre l’Algérienne des eaux et la SONEDE, et entre les offices d’irrigation) sont vitaux dans un contexte de stress hydrique, mais ils s’apparentent davantage à de la gestion de crise partagée qu’à une dynamique de croissance.
L’économie du Maghreb attend son élan
En définitive, cette 23ᵉ session a été un succèsdiplomatique, livrant un volume de 25 engagements. Néanmoins, elle confirme la tendance lourde :l’intégration économique du Maghreb, malgré les déclarations d’intention, reste freinée par unebureaucratisation persistante. Les cadres juridiques et institutionnels sont désormais pléthoriques, maisl’absence de chiffres précis sur l’augmentation des volumes d’échanges, sur les projets industrielstransnationaux financés et sur les facilitations douanières concrètes, laisse les observateurs prudents.
La balle est désormais dans le camp des opérateurséconomiques et des entreprises privées des deux pays. C’est à eux de se saisir de ces 25 cadres juridiques et institutionnels pour les transformer en réalité tangible, en projets qui se mesurent en emplois créés et encroissance du PIB. Sans cette transformation, la moisson d’accords restera un simple inventaired’intentions, loin de l’élan puissant que les économiesalgérienne et tunisienne attendent.