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Algérie-UE : du partenariat à l’arbitrage, chronique d’un désamour

Par Oussama Nadjib 29 décembre 2025
Ahmed Attaf avec Kaja Kallas, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères

En 2025, Bruxelles a enclenché une procédure d’arbitrage contre Alger au titre de l’accord d’association. Côté algérien, le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf ne mâche pas ses mots : le texte est un « boulet pour l’économie nationale ».

Le 17 juillet 2025, l’Union européenne a officiellement notifié à l’Algérie son recours au mécanisme d’arbitrage prévu par l’accord d’association entré en vigueur en 2005. Pour Bruxelles, cette décision représente l’aboutissement d’un long cycle de consultations jugées infructueuses sur les restrictions imposées par Alger au commerce et à l’investissement.

Pour les autorités algériennes, elle constitue au contraire une initiative unilatérale transformant un différend économique en contentieux juridique, sans que le Conseil d’association-instance politique censée régler les litiges -ait été pleinement mobilisé. Alger affirme que plusieurs points faisaient encore l’objet d’échanges techniques et que la démarche européenne apparaît précipitée. Cette rupture de méthode intervient alors que les relations entre l’Algérie et deux États membres, l’Espagne puis la France, ont déjà contribué à « européaniser » des tensions initialement bilatérales.

Un accord devenu un « boulet pour l’économie algérienne« 

Ahmed Attaf a livré en 2025 l’évaluation la plus sévère jamais formulée par un responsable algérien à propos de l’accord. Selon lui, les échanges commerciaux cumulés entre l’Algérie et l’Union européenne ont atteint près de 1 000 milliards de dollars entre 2005 et 2023, tandis que les investissements européens directs n’ont pas dépassé 13 milliards de dollars, dont 12 ont été rapatriés sous forme de dividendes. Le solde net pour l’économie algérienne serait ainsi limité à un milliard de dollars sur près de deux décennies.

Avant l’accord, les importations algériennes en provenance de l’UE tournaient autour de 8,2 milliards de dollars par an ; elles ont atteint 24 milliards en 2011, soit une hausse proche de 200 %, alors que les exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Europe sont restées marginales, représentant moins de 3 % du total. À ces déséquilibres s’ajoutent un manque à gagner douanier estimé à 16 milliards d’euros et des pertes fiscales cumulées de près de 700 milliards de dinars entre 2005 et 2015. L’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières risque de restreindre davantage l’accès des produits industriels algériens au marché européen.

Le bilan algérien de l’accord (2005‑2023)
Échanges cumulés avec l’UE : 1 000 milliards USD
Investissements européens directs : 13 milliards USD
Dividendes rapatriés : 12 milliards USD
Solde net pour l’Algérie : 1 milliard USD
Exportations hors hydrocarbures vers l’UE : <3 % du total

Un héritage contesté des années Bouteflika

Ces chiffres relancent un débat ancien sur les conditions dans lesquelles l’accord a été conclu. Pour certains analystes, l’Algérie des années Bouteflika, portée par une rente pétrolière abondante, a privilégié la dimension diplomatique et symbolique au détriment d’une approche économique rigoureuse. L’accord a été signé sans dispositifs de sauvegarde suffisants pour protéger une industrie naissante et sans contreparties claires en matière de transfert de technologie ou de montée en gamme productive, exposant prématurément des secteurs fragiles à la concurrence européenne.

La lecture européenne : un problème interne, non contractuel

Bruxelles développe une lecture différente. L’UE rappelle qu’elle demeure le premier partenaire commercial de l’Algérie et le principal débouché de ses exportations énergétiques, qui ont généré des recettes considérables. Elle souligne également les financements mobilisés dans le cadre de la coopération bilatérale, représentant plusieurs milliards d’euros destinés à soutenir les réformes, la modernisation administrative, l’agriculture, l’énergie et la formation.

Pour les institutions européennes, la faiblesse des exportations algériennes hors hydrocarbures relève avant tout de facteurs internes- climat des affaires, réglementation, productivité-plutôt que des termes de l’accord lui-même.

Bruxelles insiste enfin sur le caractère évolutif du cadre juridique, rappelant que des ajustements ont déjà été accordés, notamment le report du calendrier de démantèlement tarifaire en 2017. Le recours à l’arbitrage est présenté comme un outil de clarification destiné à préserver la crédibilité des engagements mutuels.

Un avenir incertain pour un partenariat stratégique

Reste la question centrale : l’accord d’association est‑il arrivé à un point de rupture ou peut‑il encore faire l’objet d’une refonte profonde ? L’Algérie peut‑elle réellement s’en affranchir alors que le marché européen demeure stratégique pour ses exportations gazières ? L’Union européenne peut‑elle, de son côté, se permettre une relation durablement conflictuelle avec un partenaire clé du sud de la Méditerranée ? En arrière‑plan, certains observateurs évoquent l’influence de la France, soupçonnée d’avoir pesé en faveur du recours à l’arbitrage dans un contexte bilatéral déjà tendu.

Si l’arbitrage va jusqu’à son terme, il pourrait devenir un moment charnière. Il dira si la relation euro‑algérienne peut être rééquilibrée sur des bases renégociées ou si elle s’oriente vers une redéfinition plus profonde, marquée par une mise à distance progressive. Dans tous les cas, 2025 restera comme l’année où le désamour, longtemps latent, est devenu patent.

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