Faute de textes clairs, les sédiments accumulés dans les barrages algériens échappent à toute valorisation industrielle. Un gâchis économique et environnemental qui se chiffre en milliards de dinars.
L’Algérie croule sous ses propres ressources. Un milliard de tonnes de limon dort au fond de ses barrages, sans qu’aucun industriel ne puisse légalement y toucher. Et pourquoi ? Aucun texte ne précise si ces sédiments sont un déchet à évacuer ou une matière première à exploiter. Résultat, 32 millions de mètres cubes de vase s’ajoutent chaque année, grignotant 1,7 milliard de mètres cubes de capacité de stockage. Et pendant ce temps, les cimentiers importent leurs matières premières.
En effet, ce limon, riche en silice et en argile, pourrait alimenter des usines de ciment bas carbone, de briques ou de céramique. Des laboratoires universitaires (Blida, Tlemcen, Biskra) valident sa faisabilité technique pour l’export de ciment durable, avec des perspectives d’ingénierie innovante contre l’eutrophisation et pour la valorisation agricole/construction. Des entreprises comme Holcim El-Djazaïr ont préparé des projets pilotes. Mais tout reste bloqué à la signature du contrat. L’Agence nationale des barrages ne peut rien céder : juridiquement, elle gère de l’eau, pas des sédiments. Personne ne sait qui est propriétaire, qui peut vendre, qui doit payer.
Une loi sur l’eau muette sur les sédiments
La loi n° 05-12 de 2005 organise la gestion de l’eau en Algérie. Elle fixe les règles pour les prélèvements, les autorisations, les taxes. Mais elle ne dit rien sur ce qui s’accumule au fond des retenues. Ce silence crée un angle mort. Les industriels ne peuvent pas investir sans sécurité juridique. Les banques refusent de financer. Les ministères se renvoient la balle entre l’Eau, l’Environnement et l’Industrie.
Pendant ce temps, le marché régional des matériaux écologiques explose. L’Europe durcit ses normes carbone. Les géopolymères et bétons durables deviennent une filière d’exportation crédible. L’Algérie dispose des matières premières, de la recherche appliquée, d’un réseau de barrages couvrant tout le territoire. Mais elle laisse passer le train faute de quelques décrets interministériels.
Le directeur général de l’Agence nationale des barrages, Abdelatif Azira, l’a reconnu publiquement en novembre 2025 lors d’une journée technique organisée par l’Association nationale des barrages et transferts. Des ateliers sont prévus pour 2026, avec l’ambition de s’inspirer des modèles marocain ou turc. Concrètement, il faudrait définir un statut pour les sédiments, fixer des redevances, encadrer les autorisations d’extraction et de transport. Rien d’insurmontable sur le papier.
Un coût caché qui pèse lourd
Ce flou juridique a un coût direct. Chaque année, la capacité des barrages diminue. Six nouveaux ouvrages sont en construction, sans qu’aucune solution de désenvasement ne soit prévue. Dans un pays où l’eau devient une ressource critique, laisser les retenues se remplir de vase relève de l’incohérence. D’autant que le déblaiement, quand il a lieu, coûte une fortune en travaux publics pour transporter la boue vers des décharges.
Valoriser ces sédiments générerait des revenus fiscaux via des royalties, comme pour les carrières classiques. Cela créerait des emplois dans le BTP, réduirait la facture d’importation de matières premières, et positionnerait l’Algérie sur un marché porteur. Certains experts évoquent même des innovations complémentaires, comme l’installation de panneaux solaires flottants sur les retenues désenvasées. Bref, une filière verte cohérente avec les objectifs de transition énergétique affichés par le gouvernement.
Mais sans texte, rien ne bouge. Les estimations tablent sur 500 millions de tonnes exploitables à court terme. De quoi alimenter plusieurs usines pendant des décennies. Le potentiel se chiffre en milliards de dinars. L’urgence aussi. Car plus le vide juridique dure, plus l’Algérie hypothèque sa souveraineté industrielle sur des ressources qu’elle possède déjà.