Algérie : décret sur les visas de films, le cinéma inquiet

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Cinéma en Algérie : le décret qui inquiète les réalisateurs et producteurs

Par Mohammed Iouanoughene
24 septembre 2025

Visa obligatoire, délais rallongés, double contrôle administratif et judiciaire : le nouveau décret sur le cinéma inquiète les créateurs. Ils redoutent que ces mesures ne brident l’imagination et n’éloignent un peu plus l’Algérie d’un cinéma ouvert et compétitif.

Un décret exécutif relatif à l’exploitation et à la distribution des films cinématographiques est paru dans le dernier numéro du Journal officiel.

L’article 2 du décret précise : « L’exploitation de tout film, à travers le territoire national, que ce soit dans les salles, multiplex de salles de cinéma, espaces de projection publics, ainsi que par tous supports d’enregistrement, chaînes de télévision et plateformes électroniques, est soumise à l’obtention préalable du visa d’exploitation cinématographique. »

Quant à l’article 3, il soumet à l’obtention préalable d’un visa culturel la projection de films « lors des festivals et des manifestations cinématographiques organisés en Algérie, ou ceux proposés par les représentations diplomatiques étrangères et/ou les centres culturels étrangers accrédités en Algérie ».

Sont exemptés du visa d’exploitation cinématographique les films produits à des fins éducatives, formatives, sanitaires, ou destinés à la promotion des produits nationaux ou à la communication institutionnelle.

Procédures de demande de visa et documents requis

L’article 6 établit que la demande de visa d’exploitation doit être accompagnée d’« une copie du film, une copie des contrats de distribution ou d’exploitation, ainsi que les lieux et dates de projection ». La demande de visa pour les manifestations culturelles doit être déposée au Centre national du cinéma au moins 40 jours avant la tenue de l’événement, avec un programme détaillé et une copie du film.

Pour le réalisateur Bachir Derraïs, il s’agit de l’officialisation d’une procédure déjà appliquée par le ministère de la Culture sous la direction d’Azzedine Mihoubi, mais qui n’était pas encadrée par un texte législatif.

« Avant, seuls les festivals sollicitaient ce type de visa. Désormais, ce décret étend la procédure à tous les acteurs : centres culturels étrangers, associations, maisons de culture, ciné-clubs, etc. Tout doit donc passer par le ministère de la Culture », explique-t-il à Maghreb Émergent.

Toutefois, la procédure de visa culturel ou de visa d’exploitation cinématographique existe dans de nombreux pays. Le problème, selon les acteurs du secteur contactés par Maghreb Émergent, ne réside pas dans le décret 25-238 récemment paru au Journal officiel, mais dans la loi de 2024 relative à l’industrie cinématographique.

Inquiétudes sur les films liés à la mémoire nationale

Bachir Derraïs attire l’attention sur les articles 4 et 5, qui fixent des restrictions à l’exercice de la liberté de création cinématographique, en particulier pour les films liés à la mémoire nationale.

« La loi sur le cinéma prévoyait déjà un cadre pour ce type d’œuvres, mais aucun texte d’application n’existait jusqu’ici. Ce décret agit donc comme un texte d’application, ouvrant la voie à un usage restrictif contre celles et ceux qui diffuseraient des films — nationaux ou étrangers — traitant de la mémoire », affirme-t-il.

Plus grave encore, « la loi prévoit des peines de prison », déplore le producteur Boualem Ziani, qui s’est beaucoup investi pour adapter le projet de loi proposé par le gouvernement aux exigences d’un environnement favorable à la libre création cinématographique. Il rappelle : « Le président de la République a ordonné le retrait du projet pour enrichissement en concertation avec les acteurs du cinéma. Mais au moment des débats à l’APN, nous nous sommes retrouvés face à la version initiale présentée par le gouvernement, sans le moindre changement. »

La liberté de création cinématographique en jeu

Boualem Ziani ne comprend pas comment des imams ou d’anciens moudjahidine peuvent être amenés à juger un film, qui reste une œuvre de fiction reflétant l’imagination du réalisateur. « Si on met des barrières à l’imagination, on ne peut pas faire du cinéma. Nous allons continuer à tourner en rond et rester à la traîne par rapport à l’évolution du cinéma à l’échelle internationale », dénonce-t-il, regrettant qu’il ne soit plus possible de réaliser en Algérie des films de type Hassan Terro de Mohamed Lakhdar Hamina, L’Inspecteur Tahar de Moussa Haddad, Les Folles Années du Twist de Mahmoud Zemouri, ni même des œuvres plus récentes comme La Chine est encore loin de Malek Bensmail, tourné dans les années 2000″.

Il met en garde « Si tous les autres secteurs commencent à intervenir pour contrôler les sujets des films, que restera-t-il de la fiction ? Pourquoi ne pas faire confiance aux professionnels et laisser au ministère de la Culture son rôle naturel de pilotage ? Les autres secteurs devraient, en principe, être là pour accompagner et soutenir l’industrie cinématographique, et non pour la contraindre. »

De son côté, Yanis Koussim, réalisateur, scénariste et producteur, déplore la lenteur de la procédure : « Les délais d’obtention des visas culturels et d’exploitation sont trop longs à mon avis. Dans un monde qui s’accélère, demander 40 jours à l’avance avant la projection, surtout pour des visas culturels, c’est alourdir des procédures déjà complexes », estime-t-il.

Double contrôle administratif et judiciaire

Yanis Koussim relève aussi certains points qu’il juge vagues et susceptibles de restreindre davantage l’accès du public algérien aux œuvres cinématographiques. « L’article 13 me semble instaurer un double contrôle. Pourquoi cet article alors qu’il existe déjà une commission chargée d’octroyer les visas ? Cela fragilise les autorisations, qui pourraient être annulées à tout moment, et ajoute de la précarité à celle déjà existante dans la distribution des films. »

L’article 13 du décret 25-238 donne en effet au ministre chargé de la Culture la possibilité de saisir le tribunal des référés pour ordonner la suspension d’une projection. « Le spectateur de cinéma n’est pas passif, comme c’est le cas pour la télévision », insiste-t-il. « Rien ne l’oblige à aller voir un film qui ne lui plaît pas. Je pense que c’est au spectateur de décider en dernier ressort. D’autant qu’avec internet, il a accès à tous les films du monde », ajoute-t-il.

« Ces articles ne vont pas dans le sens des recommandations du président. Ils vont rendre les choses encore plus lourdes, décourager les talents, les investisseurs, les tournages étrangers et retarder l’éclosion d’un cinéma national en bonne santé », conclut le cinéaste.

Que fera le Centre national du cinéma ?

Enfin, Riad Ayadi, directeur général de MD Ciné, principal opérateur de la distribution cinématographique en Algérie, estime que ce décret ne change pas fondamentalement la donne : « Ce sont les mêmes autorisations et les mêmes documents qu’on nous demandait auparavant. Le délai d’un mois pour le traitement des demandes est long, mais c’est la loi qui le stipule. »

Il se montre en revanche attentif au rôle du nouveau Centre national du cinéma : « Il s’occupera des autorisations, de la formation, de l’application de la réglementation… c’est un gros travail. On va voir comment les choses vont évoluer. »

« Avec le ministère de la Culture, les choses fonctionnaient bien », ajoute-t-il encore. « Nous avions un rendez-vous tous les mardis avec la commission de visionnage pour contrôler deux ou trois films chaque semaine. Le ministère jouait le jeu pour ne pas rater les rendez-vous à l’international… », conclut-il.

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