Ce troisième article s’inscrit dans la continuité des deux précédents – le premier consacré aux déséquilibres macroéconomiques, le second aux rigidités structurelles du modèle de croissance – et propose une vision stratégique de long terme, accompagnée d’une feuille de route cohérente, progressive et soutenue. L’objectif est de rompre avec les approches ponctuelles et fragmentées, souvent inefficaces, et d’éviter les cycles de réformes interrompues (stop and go) qui affaiblissent la crédibilité des politiques économiques. La stratégie proposée repose sur trois piliers étroitement liés : rétablir les fondamentaux macroéconomiques, diversifier la base productive et stimuler l’innovation pour renforcer la compétitivité.
Ce triptyque constitue le socle d’une transformation structurelle fondée sur la stabilité, la résilience et la création de valeur. Discutons de ces points.
Cap 2050 : aboutir à une économie émergente par étapes structurées. (1) La vision 2050 ambitionne de hisser l’Algérie au rang de pays émergent, en s’appuyant sur une économie de marché régulée, capable de renforcer sa compétitivité externe tout en maîtrisant ses déséquilibres internes. Ce modèle repose sur un entrepreneuriat privé dynamique, fondé sur l’innovation, la responsabilité fiscale et la création de valeur, ce qui permettra de réduire progressivement le poids du secteur informel.
L’État conserve un rôle stratégique, agissant à la fois comme développeur dans les secteurs à forte externalité positive — notamment les infrastructures, les technologies et la transition énergétique — et comme régulateur macroéconomique, garant de la cohérence des politiques publiques. Une ouverture maîtrisée au capital étranger, à travers les investissements directs et le financement de projets structurants, jouera un rôle clé dans la modernisation de l’économie, son intégration internationale et le financement de la transition. L’inclusion sociale et une redistribution équitable et soutenable des richesses seront placées au cœur de ce modèle, dans une optique de renforcement de la classe moyenne, socle de stabilité et de cohésion nationale ; et (2) les stratégies décennales intermédiaires appuyées par des plans d’action triennaux pour concrétiser cette ambition à travers des séquences opérationnelles cohérentes et ajustables.
Cette trajectoire progressive visera à assainir les fondamentaux macroéconomiques, bâtir une base productive multisectorielle inclusive et compétitive et déployer des politiques sectorielles ciblées dans les domaines des énergies renouvelables, du numérique, de l’intelligence artificielle et de l’économie verte et bleue.
La transformation économique s’appuiera sur trois axes interdépendants. L’axe macroéconomique vise à restaurer les équilibres budgétaires, monétaires et externes, condition préalable à la confiance et à l’investissement. L’axe structurel porte sur la modernisation institutionnelle, l’amélioration de la gouvernance, la stimulation de l’investissement productif, et l’élargissement de l’accès au financement et à l’emploi. L’axe sectoriel cible la diversification via l’économie verte, les technologies numériques et de pointe, afin d’accroître la valeur ajoutée, la résilience et l’intégration du capital humain.
Axe 1 : Une combinaison appropriée et cohérente des politiques macroéconomiques : consolidation budgétaire, gestion monétaire rigoureuse et ajustement progressif du taux de change, visant à soutenir la croissance tout en garantissant la viabilité des finances publiques et le contrôle de l’inflation. La politique budgétaire, pilier de cet ajustement, doit réduire le déficit de manière graduelle sans freiner la demande globale, grâce à une coordination étroite avec les politiques monétaire et de change. La politique monétaire s’attachera à maîtriser l’inflation, ciblée implicitement à 4%, en gérant prudemment la liquidité issue de la monétisation du déficit. Le régime de change évoluera vers une dépréciation progressive du dinar, visant à rapprocher sa valeur de l’équilibre tout en évitant des chocs inflationnistes majeurs. Par ailleurs, le financement du déficit exigera un encadrement strict de la monétisation — par des plafonds, des opérations de stérilisation et des taux alignés sur le marché — ainsi que le développement d’un marché obligataire souverain durable.
Axe 2 : Un renforcement du cadre macro-structurel : à travers une modernisation du cadre budgétaire, une amélioration de l’efficacité des dépenses publiques et une meilleure coordination des politiques économiques.
La politique budgétaire : assainir les finances publiques à travers un processus d’ajustement budgétaire symétrique. Dans un contexte de forte dépendance aux recettes pétrolières, la volatilité des prix induit une procyclicité budgétaire marquée, générant instabilité macroéconomique, érosion de la compétitivité, incertitude accrue et affaiblissement de l’investissement. Le retour à la viabilité budgétaire en Algérie repose sur deux points d’ancrage crédibles : un solde structurel soutenable hors hydrocarbures et la maîtrise rigoureuse du niveau élevé de la dette publique, qui atteignait environ 75% du PIB en 2024.
Le déficit hors hydrocarbures, aujourd’hui proche de 30% du PIB hors pétrole, doit être ramené progressivement vers un niveau soutenable d’environ 10%, conformément à l’approche du revenu permanent. Parallèlement, la dette publique doit être stabilisée puis réduite à un seuil compatible avec la soutenabilité fiscale, afin de préserver la confiance des investisseurs et assurer la viabilité à moyen terme des finances publiques. Cet ajustement important, indispensable pour restaurer la stabilité macroéconomique, doit être étalé dans le temps pour limiter les chocs et préserver la croissance. La symétrie dans l’ajustement entre recettes et dépenses est essentielle. Les recettes fiscales, faibles (11,9% du PIB) par rapport à un potentiel estimé entre 15 et 19%, doivent être renforcées via la réforme de l’assiette fiscale, l’amélioration du recouvrement et la rationalisation des exonérations.
Du côté des dépenses, une réduction progressive des dépenses courantes est nécessaire, notamment à travers la maîtrise de la masse salariale et la réforme graduelle des subventions, aujourd’hui mal ciblées et bénéficiant souvent aux ménages les plus aisés. Ces ajustements doivent s’accompagner d’un meilleur ciblage social pour protéger les populations vulnérables. En parallèle, les dépenses en capital, malgré leur efficacité limitée, doivent être préservées et réorientées vers des projets à fort rendement économique et social. Cela suppose une restructuration du portefeuille d’investissements publics, une meilleure gouvernance, une exécution plus rigoureuse et une coordination institutionnelle renforcée. Concernant le financement du déficit, un équilibre délicat doit être trouvé entre soutien à la croissance et viabilité des finances publiques à moyen terme. Il faut encadrer strictement la monétisation du déficit à travers des plafonds, des mécanismes de stérilisation et un pilotage prudent de la liquidité. En parallèle, le développement d’un marché obligataire souverain et une émission des obligations sur les marchés internationaux des capitaux s’imposent comme alternatives durables pour diversifier les sources de financement, réduire la dépendance à la banque centrale et renforcer la discipline budgétaire.
Les politiques monétaire et de change : sur le premier plan, les faiblesses portent sur la transmission des signaux, la coordination avec la politique budgétaire et la communication. La gestion de la liquidité doit être modernisée, notamment via des instruments de stérilisation plus actifs. Pour ce qui est de la politique de change, la dualité du marché freine la transparence et l’allocation efficace des devises. Une unification progressive est nécessaire, en commençant par réduire l’écart entre les taux officiel et parallèle, renforcer le marché interbancaire, assécher le marché parallèle et ouvrir progressivement le compte capital. Enfin, la supervision bancaire doit être renforcée pour prévenir les risques liés à l’expansion du crédit. Les réformes structurelles complémentaires : devront renforcer l’offre globale en favorisant un environnement propice à l’investissement privé, à l’innovation et à une participation accrue au marché du travail. La simplification des procédures administratives et l’amélioration de la transparence sont essentielles pour stimuler l’activité entrepreneuriale, réduire la corruption et renforcer les droits contractuels et de propriété. L’accès au financement doit être élargi par la modernisation du secteur bancaire, la diversification des instruments financiers adaptés aux PME et la mobilisation de l’épargne privée, contribuant ainsi à la formalisation de l’économie. Un climat d’affaires dynamique nécessite également le développement d’une véritable culture entrepreneuriale fondée sur la prise de risque, en rompant avec la dépendance à la commande publique. Le respect des droits des créanciers, la simplification des procédures de faillite et la résolution efficace des prêts non performants sont indispensables. La suppression progressive des subventions aux taux d’intérêt permettrait une meilleure allocation des ressources et limiterait les charges budgétaires. Enfin, l’inclusion des femmes sur le marché du travail doit être une priorité.
Cela implique des réformes ciblées sur l’éducation, la politique familiale, les institutions du marché du travail, ainsi que la prise en charge des contraintes spécifiques telles que les services de garde, les régimes de retraite et les transferts sociaux. L’amélioration de ces facteurs est essentielle pour accroître la participation féminine et exploiter pleinement le potentiel du capital humain.
La politiques sociale et la communication : deux points cruciaux. Ils permettent en effet de : (i) préserver l’adhésion des populations au processus de réformes en restant en contact permanent avec elle pour expliquer la stratégie et l’avancée des réformes au moyen de visites sur le terrain et de rapports d’étapes périodiques. La communication sera vitale à cet effet ; et (ii) protéger les couches vulnérables de la population qui seront affectées par les réformes structurelles au moyen d’une politique sociale intégrée et globale. Cette dernière est intégrée au cadre économique à moyen terme.
Les outils de pilotage économique : véritables instruments de gouvernance stratégique reposant sur trois composantes interdépendantes : (1) Le cadre macroéconomique à moyen terme définit les objectifs chiffrés de croissance, d’inflation, de finances publiques et de réformes structurelles ; (2) Le cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) qui projette, sur au moins trois ans, les recettes, dépenses, soldes, financements et niveaux d’endettement, sur la base d’hypothèses économiques réalistes ; et (3) le cadre des dépenses à moyen terme, complément indispensable qui précise les enveloppes budgétaires par fonction, nature et ministère, assurant discipline fiscale et cohérence intersectorielle. Ces outils favorisent un système de suivi-évaluation qui s’appuie sur un tableau de bord intégrant des indicateurs avancés (ex. marchés financiers), coïncidents (ex. consommation, taux d’intérêt) et retardés (ex. chômage, inflation) afin d’orienter les décisions, anticiper les déséquilibres et ajuster les politiques en temps réel.
Le suivi de l’exécution des réformes et leur recalibrage sont essentiels pour assurer l’efficacité et la continuité du processus de transformation.
Ce dispositif reposera sur : (1) un mode opératoire rigoureux : sous forme d’un suivi permanent des objectifs macroéconomiques et structurels afin de les ajuster en temps réel aux évolutions internes et externes ; d’une actualisation régulière des projections macroéconomiques ; d’une révision, si nécessaire, de la feuille de route à moyen terme ; d’une mise à jour du Cadre Budgétaire à Moyen Terme (CBMT) et du Cadre des Dépenses à Moyen Terme (CDMT) ; et d’une communication économique transparente et d’une diffusion systématique des données de mise en œuvre ; (2) un cadre institutionnel structuré, articulé autour d’un Comité Technique des Réformes (CTR), composé de représentants des principales administrations économiques, placé sous l’autorité d’un Comité Politique Stratégique (CPS). Le CTR assure le suivi opérationnel, élabore un tableau de bord mensuel d’indicateurs économiques et financiers, ainsi que des rapports trimestriels sur l’avancement des réformes. Ces éléments sont transmis au CPS, chargé de l’orientation stratégique, de l’ajustement des politiques et de l’information régulière en faveur des autorités, du public et des partenaires. Deux décrets présidentiels encadreront ce dispositif : l’un fixant la composition, le fonctionnement et les sources statistiques du CTR ; l’autre définissant les missions et la gouvernance du CPS.
Le coût et gains des réformes. Entre 2026 et 2028, les déficits projetés du budget hors hydrocarbures (18 à 22 % du PIB) et du compte courant de la balance des paiements (environ 8 % du PIB), combinés aux besoins accrus liés à la transition énergétique et aux réformes structurelles (infrastructures, capital humain, réforme du climat des affaires), laisseraient un besoin de financement estimé entre 45 et 65 milliards USD. Cela représente environ 5 à 7 % du PIB cumulé sur la période, à mobiliser de manière progressive et cohérente pour préserver la stabilité macroéconomique et soutenir la transformation du modèle économique. Cette question cruciale des besoins de financement et des modalités de leur couverture fera l’objet d’un prochain article détaillé.