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Bachir Amokrane (auteur) à Maghreb Emergent : « Omar Aktouf a définitivement cédé sa place  »

Par Maghreb Émergent
4 avril 2025

Bachir Amokrane, formateur et consultant dans des entreprises publiques et privées et dans divers organismes, est aussi l’auteur de « Omar Aktouf : un homme libre inquiet du monde », un livre qui présente la pensée de l’économiste algérien, feu Omar Aktouf, qui vient de nous quitter récemment. Il nous décrit dans cet entretien qui est cet homme que l’Algérie aurait dû mieux considérer.

Maghreb Emergent : Le professeur Omar Aktouf vient de nous quitter. C’est un éminent expert économique que l’Algérie a perdu. Que ressentez-vous ?

Bachir Amokrane : Beaucoup de tristesse pour avoir perdu un ami et d’immenses regrets. Une grande partie de ces regrets concerne le gâchis de ne pas avoir su (en tant que Nation) valoriser une pensée qui est sortie de nos entrailles, les entrailles du peuple algérien meurtri par la colonisation, avec les valeurs de l’Algérie d’antan que notre pays opposait au monde haut et fort ! Omar Aktouf nous donne l’occasion d’évaluer nos priorités à la lumière de son héritage.

Car oui ! même s’il n’est plus là, nous pouvons évaluer l’œuvre sans concession et celle-ci peut nous évaluer. Évaluer notre attitude vis-à-vis des gens du savoir, plus particulièrement vis-à-vis d’un homme qui a proposé d’offrir ses services à son pays. Un homme qui a passé les six dernières années à donner des cours à ses compatriotes à titre gracieux. Un homme qui a rayonné aux quatre coins du monde. Un homme dont l’œuvre est conjuguée en six langues. Mais il a été si peu connu chez lui. Ne parlons pas de cette forme de célébrité dont souffrent les grands penseurs, car un penseur n’est pas une star, mais une réponse possible à nos questions.

Les livres d’Omar Aktouf auraient dû être lus  ! Ses idées auraient dû être discutées, son nom aurait dû être reconnu, de son vivant. Lui qui aimait par-dessus tout parler, écrire, questionner, crier… vient tout juste de céder la parole à son œuvre.

Vous avez eu l’occasion de travailler avec feu Omar Actouf et vous lui avez même consacré un livre. Comment souhaitez-vous présenter l’homme  ?

Omar Aktouf était un penseur indiscipliné au sens où il ne reconnaissait pas les frontières traditionnelles entre les disciplines scientifiques. Ce n’est pas seulement qu’il nourrissait une culture générale impressionnante; Il allait bien au-delà. En entrecroisant différentes méthodologies qu’il appliquait au seul objet d’étude qui l’intéressait vraiment : l’être humain. Loin d’être uniquement un économiste, Aktouf est un modèle de mise en pratique de la pensée complexe. Il espérait (au minimum pour le champ de l’économie-management) opérer une unification des savoirs à un niveau « méta » -c’est-à-dire supérieur- qui sera pourvoyeur de sens pour les savoirs éparpillés de la gestion.

Il aimait souvent répéter cette définition de l’humain de son ami Albert Jacquard : « L’être humain est le seul être vivant capable d’aller contre sa propre nature.»  Pour feu Aktouf, il fallait à la fois s’en réjouir et s’en méfier ! D’où la nécessité de la définition d’une finalité humaine pour unifier les connaissances.

Omar Aktouf est aussi un homme qui a vécu selon un principe qu’il avait lui-même énoncé : les privilèges que l’on donne aux universitaires, aux journalistes, aux enseignants et aux écrivains, aussi minces soient-ils à leurs yeux, leur imposent un devoir de résistance face à toute basse politique qui se fait au nom de ce qu’ils enseignent et de ce qu’ils disent ou écrivent. Car ce sont les gardiens d’une certaine « haute idée de l’humain ». Ceci lui a valu bien des batailles et des ennemis : en premier lieu ces collègues universitaires, à qui il pouvait rappeler, du moins pour certains, qu’ils pouvaient être tout sauf des intellectuels au vrai sens du mot. Car aucun intellectuel ne peut avoir pour seule préoccupation la défense du droit de faire de l’argent à l’infini. Aucun intellectuel ne peut être fier de reproduire ce qui existe déjà, sans jamais remettre en cause l’injustice, les inégalités, la crétinisation généralisée…

Omar Aktouf est connu mondialement pour son engagement contre la mondialisation et la gestion néolibérale, mais il est méconnu dans son pays. Pourquoi ?

Lorsqu’un penseur comme Omar Aktouf a touché en profondeur à une diversité de disciplines allant de la psychanalyse à l’ethnologie, de l’histoire à la philosophie, en passant par la quasi-totalité des sciences humaines et sociales. Lorsqu’un universitaire fait le lien entre la physique thermodynamique et l’économie. Lorsqu’un diplômé en littérature & philosophie a scruté la neurologie, la sociologie et la linguistique dans ce qu’elles ont à nous apprendre sur l’humain dans son travail… Il y a de quoi s’interroger sur la raison qui fait qu’en Algérie, on a souvent considéré Aktouf comme un « simple économiste », « fantasque », qui déborde du cadre.

Je suis désolé de dire que si Omar Aktouf n’a pas été lu dans son propre pays, c’est d’abord en raison du présumé niveau de difficulté de son œuvre. Je vous laisse en tirer les conclusions. De plus, les sociologues, surtout les nouvelles générations, ne se sont pas sentis concernés par ses écrits ; les étudiants en physique n’ont pas beaucoup entendu parler de lui, les économistes le jugent farfelu ; les journalistes sont débordés. Les politiques préfèrent la voie néolibérale…Qui va lire Omar Aktouf en Algérie ?

Y a-t-il une chance de bénéficier de ses œuvres même après sa disparition  ?

La majorité de ses ouvrages est disponible en édition algérienne. Il s’agit de :
• L’Algérie entre l’exil et la curée ;
• La stratégie de l’autruche ;
• Halte au Gâchis ;
• Le management entre tradition et renouvellement.
Il a également laissé des centaines d’heures de vidéos sur YouTube. Je voudrais terminer sur une note d’espoir et d’engagement. Comme je le disais plus haut l’immense Omar Aktouf a cédé la place à son œuvre. Alors lisons !

Entretien réalisé par : M. Iouanoughene

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