Mardi et mercredi à Abidjan, la Banque africaine de développement a réuni une cinquantaine de patrons de bourses africaines pour tenter de les convaincre de bâtir un système financier autonome. Mais l’argent du continent continue de partir ailleurs, et personne n’a vraiment de solution pour le retenir.
C’est une réunion inédite que la Banque africaine de développement a organisée cette semaine à Abidjan. Pendant deux jours, les patrons des principales bourses africaines ont planché sur une question qui revient en boucle depuis des décennies : comment financer le développement du continent sans dépendre éternellement de l’aide extérieure. Une ambition louable, mais qui se heurte à des blocages structurels que personne ne semble vraiment en mesure de lever pour l’instant.
Le président de la BAD, Ould Tah, a donné le ton dès l’ouverture en s’adressant aux participants comme aux « gardiens des institutions financières et les catalyseurs de l’avenir de notre continent ». Derrière la rhétorique, l’enjeu est pourtant bien concret : mobiliser l’épargne africaine qui s’investit massivement ailleurs et transformer les marchés boursiers locaux en véritables outils de financement. Selon la BAD, cette rencontre doit aboutir à « un plan historique pour une nouvelle architecture financière africaine, conçue pour combler le déficit de financement nécessaire pour répondre aux besoins de développement du continent ». Rien que ça.
L’argent africain dort ailleurs pendant que les PME sèchent sur pied
Autour de la table, on retrouvait les représentants des bourses de Nairobi, Tunis, Casablanca, Johannesburg, mais aussi de la BRVM d’Abidjan qui fédère huit places ouest-africaines, ou encore des marchés du Rwanda, du Mozambique et du Cabo Verde. Des structures aux moyens et aux performances très inégales, ce qui complique d’emblée toute ambition d’harmonisation régionale.
Félix Edoh Kossi Amenounve, directeur général de la BRVM, a d’ailleurs posé le problème sans détour : il existe « des écarts entre les besoins de financement et les ressources disponibles ». Plus gênant encore, il a rappelé que les fonds de pension africains « ont été créés à l’origine pour financer les gouvernements », pas l’économie réelle. Résultat : ces fonds préfèrent largement placer leur argent à l’étranger plutôt que de prendre le risque d’investir dans des entreprises locales. Des milliards de dollars dorment ainsi hors du continent pendant que les PME africaines, qui représentent quand même « près de 90 % des entreprises et plus de 60 % des emplois en Afrique » selon le communiqué de la BAD, « continuent d’avoir un accès limité au capital-risque ».
Ould Tah a beau affirmer que « les marchés de capitaux constituent le socle sur lequel repose une croissance économique durable et à long terme » et que « en mobilisant des capitaux patients, vous fournissez à nos États et à nos entreprises des sources de financement diversifiées », la réalité du terrain raconte une tout autre histoire. Donald Waweru Wangunyu, directeur non exécutif de la Bourse de Nairobi, l’a admis sans fard : malgré les bonnes intentions, « nous avons de bons projets, mais les obstacles demeurent ». Et quand on lui demande ce qui coince, il pointe du doigt le manque de coordination régionale nécessaire à « une mise à l’échelle, une coordination des politiques et une mise en œuvre des réformes ».
Des réglementations qui datent d’une autre époque
À Tunis, Sonia Ben Frej, présidente du Conseil d’administration de la Bourse locale, enfonce le clou en évoquant “les problèmes de convergence réglementaire et la nécessité de mettre à jour des réglementations obsolètes”. Autrement dit, les cadres juridiques africains freinent plus qu’ils n’encouragent les investissements. Et ce n’est pas nouveau.
Face à ces constats, la BAD a dévoilé son plan d’action articulé autour de trois axes : un soutien aux régulateurs et aux bourses “par le biais d’une assistance technique, de projets d’appui institutionnel et d’opérations basées sur les politiques” ; une diversification des acteurs du marché “afin de promouvoir la liquidité des produits et l’approfondissement des marchés” ; et enfin “la recherche, la formation et le dialogue politique pour renforcer les capacités des acteurs des marchés de capitaux en Afrique”. Sur le papier, tout se tient. Mais ces thématiques sont rabâchées depuis des années dans les sommets africains sans que les choses bougent vraiment.
L’objectif aujourd’hui et maintenant reste d’ “ouvrir la voie à la mobilisation de financements supplémentaires pour l’Afrique par les institutions financières, sans dépendre de l’aide publique au développement, comme c’est le cas aujourd’hui”. Le président Ould Tah a conclu en appelant à un “effort collectif”. Mais entre les déclarations d’intention et la transformation concrète des systèmes financiers africains, il y a un gouffre que deux jours de réunion ne suffiront probablement pas à combler. D’autant que ce type de grand-messe se répète régulièrement sans que les aiguilles ne bougent vraiment sur le terrain.





