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Banque d’Algérie : la baisse du taux directeur n’a pas d’effet automatique (Expert)

Par Samy Injar
3 septembre 2025
La Banque d’Algérie a abaissé son taux directeur à 2,75 % et réduit les réserves obligatoires à 2 %, libérant environ 25 milliards DA de liquidités supplémentaires.

Le Conseil monétaire et bancaire a abaissé le taux directeur de 3% à 2,75% fin août, une première depuis plusieurs années. Les banques répercuteront-elles cette baisse ? Un expert, ancien cadre de la Banque centrale, éclaire les enjeux de cette transmission monétaire.

« La loi sur la monnaie et le crédit accorde l’autonomie commerciale aux banques. Elles sont libres de répercuter ou pas le taux directeur de la Banque d’Algérie qui demeure un signal de marché. C’est la concurrence qui doit jouer pour réguler le taux d’intérêt débiteur ou créditeur à partir de ce signal », a déclaré à Maghreb Émergent un expert, ancien cadre de la Banque centrale, commentant les dernières mesures de détente monétaire du régulateur en Algérie.

L’expert a toutefois précisé qu’une directive interne de l’État actionnaire, détenteur des principales banques de la place, peut dans les prochains jours amener les taux d’intérêt à suivre le mouvement à la baisse du taux directeur : « Si les taux d’intérêt pour les clients doivent baisser, il y a plus de chances que cela se passe ainsi plutôt que par le jeu de la concurrence », a-t-il ajouté.

Deux mesures clés de détente monétaire

Le 28 août dernier, le Conseil monétaire et bancaire a décidé d’abaisser le taux directeur de la Banque d’Algérie de 3 % à 2,75 %. Cette mesure, inédite depuis plusieurs années, vise à réduire le coût de refinancement des banques et à envoyer un signal de soutien au crédit.

Quelques semaines auparavant, l’institution avait également réduit le taux de réserve obligatoire de 3 % à 2 %, libérant ainsi près de 25 milliards de dinars de liquidités supplémentaires en faveur du système bancaire. Ces deux décisions combinées constituent un tournant dans la politique monétaire, avec pour objectif affiché de relancer l’investissement et de fluidifier le financement de l’économie.

Ces mesures ont été rendues possibles par un net recul de l’inflation. L’indice des prix à la consommation, qui dépassait 6 % en 2024, s’est replié à 3,1 % en moyenne sur douze mois, tandis que l’inflation sous-jacente est tombée à 2,6 %, selon l’ONS.  Dans ce contexte plus favorable, la Banque d’Algérie a jugé qu’un assouplissement de sa politique monétaire ne mettait pas en péril la stabilité financière.

La croissance économique reste en effet soutenue : le PIB a progressé de 4,2 % en 2024, puis de 4,5 % au premier trimestre 2025. Hors hydrocarbures, le rythme est même plus élevé, atteignant 5,7 %. Pourtant, cette dynamique ne repose pas suffisamment sur l’investissement privé. Les crédits à l’économie continuent de bénéficier principalement au secteur public économique, laissant de côté de nombreuses entreprises privées qui peinent à accéder au financement bancaire.

Une concurrence bancale et des marges confortables

Si la Banque d’Algérie a choisi de baisser ses taux, la question de la transmission de cette décision aux clients reste entière. En théorie, une réduction du coût de refinancement devrait inciter les banques à proposer des prêts moins chers. Dans la pratique, la domination du marché par les banques publiques limite fortement le jeu de la concurrence. Ces établissements, qui concentrent l’essentiel des dépôts et des crédits, disposent d’une position confortable leur permettant de maintenir des marges élevées.

L’écart entre le taux directeur fixé par la Banque d’Algérie (2,75 %) et les taux moyens pratiqués sur le marché illustre cette situation. Au premier semestre 2025, les crédits à la consommation se négociaient en moyenne à 9,6 %, les découverts bancaires à 7,8 %, et le financement de l’habitat à 6,7 %. Des marges de 4 à 7 points séparent ainsi le coût de la ressource des conditions effectives appliquées aux clients.

À titre d’exemple, la BNA propose des crédits immobiliers autour de 6 % pour les épargnants, tandis que ses crédits à la consommation dépassent 8 %. Le CPA pratique pour sa part des taux similaires, avec des grilles qui restent largement au-dessus du seuil directeur, sauf lorsqu’il s’agit de produits bénéficiant d’une bonification publique comme les crédits logement à 1 % ou 3 %.

Ces illustrations montrent que la baisse du taux directeur n’est pas automatiquement transmise : seule une injonction des autorités, en tant qu’actionnaire, pourrait orienter plus directement les conditions de crédit.

La conséquence est claire : l’offre de crédit demeure rigide en Algérie. La structure du marché, dominée par les grandes banques publiques, génère des biais de concurrence qui freinent la diffusion des mesures monétaires. L’accès au crédit d’investissement, crucial pour diversifier l’économie et stimuler l’initiative privée, reste problématique, indépendamment du niveau des taux directeurs ou de la volonté du régulateur de les faire baisser.

Tant que la logique de marché ne jouera pas pleinement, la transmission de la politique monétaire restera partielle et le financement de l’investissement privé continuera d’être le maillon faible de la croissance.

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