Dans cet entretien accordé à Maghreb Emergent, l’économiste Belkacem Boukherouf analyse le projet de loi de finances 2026 et met en garde contre une trajectoire budgétaire qui pourrait porter la dette publique à 100 % du PIB d’ici quatre ans.
Maghreb Emergent : Le projet de loi de finances pour 2026 est enfin connu. Selon vous, le gouvernement fait-il preuve de prudence face à la conjoncture actuelle ?
Belkacem Boukherouf : Il ne s’agit pas de prudence, mais d’une reconduction de l’endettement déguisée en stabilité. Le projet de loi de finances 2026 reconduit les grands équilibres macroéconomiques de l’an dernier. Les budgets des ministères régaliens, la masse salariale (33 % du budget de l’État) et les transferts sociaux (28 %) restent inchangés. Quand 61 % du budget national est absorbé par les salaires et les transferts sociaux, cela ne laisse aucune marge pour l’investissement productif. Le pays fonctionne en pilotage automatique, sans réformes structurelles ni innovations budgétaires.
Nous continuons à bâtir nos lois de finances sur le prix du baril de pétrole, comme si les marchés mondiaux nous appartenaient. C’est une erreur classique, mais fatale. Cette logique empêche toute transformation du modèle économique et condamne le pays à une dépendance chronique vis-à-vis des hydrocarbures. Ce n’est pas de la prudence, c’est de l’immobilisme budgétaire.
Vous évoquez une reconduction de l’endettement. Quels sont, selon vous, les dangers réels de cette trajectoire ?
Le projet actuel table sur un déficit qui porterait la dette à 23 % du PIB, avec une projection qui pourrait grimper à 100 % d’ici quatre ans. La Banque mondiale a déjà alerté Alger à ce sujet.
Le surendettement structurel est une bombe à retardement. Il ne s’agit pas simplement de chiffres, mais d’une perte de souveraineté économique. Si rien ne change, d’ici 2029 ou 2030, nous serons littéralement submergés par le crédit. Nous n’emprunterons plus pour investir, mais pour rembourser. Et c’est là que la spirale devient infernale.
Quelles sont, selon vous, les causes profondes de cette dérive ?
Deux facteurs principaux alimentent cette situation. D’abord, une fonction publique hypertrophiée : des millions d’emplois sans réelle valeur ajoutée pèsent lourdement sur les finances. Le pays paie des salaires sans retour productif.
Ensuite, une allocation chômage mal encadrée, qui profite à plus de deux millions de bénéficiaires. Le chiffre augmente chaque année, et il est de notoriété publique qu’une partie de ces bénéficiaires travaillent au noir. C’est une subvention de l’informel par l’État. Cette dérive est insoutenable sur le long terme, surtout dans un contexte de croissance molle et de recettes pétrolières incertaines.
Les “budgets non affectés” inscrits au ministère des Finances, que vous qualifiez d’artifice comptable. Peut-on dire que le déficit est désormais institutionnalisé ?
Oui, c’est un artifice budgétaire pour masquer un déficit chronique. Ces budgets non affectés permettent de colmater les trous chaque année, sans jamais régler le problème de fond. C’est une manière de repousser les décisions difficiles. Autrement dit, le déficit est devenu structurel, et donc dangereux.
Quelles réformes seraient, selon vous, nécessaires pour sortir de cette impasse ?
Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut du courage politique et une véritable rupture avec la logique de reconduction. Trois axes s’imposent : Réformer la fonction publique et la masse salariale. Réaffecter les ressources humaines vers des secteurs productifs, et mettre fin aux emplois budgétivores sans impact économique.
Repenser l’allocation chômage. Elle ne doit pas devenir un revenu permanent. Il faut la conditionner à la formation et à la recherche active d’emploi, tout en renforçant les contrôles pour éliminer les abus.
Innover financièrement et fiscalement. Diversifier les recettes publiques, moderniser la fiscalité locale, et attirer les capitaux privés au lieu de se reposer exclusivement sur les hydrocarbures.
Sans une révolution budgétaire, l’Algérie risque d’entrer dans une décennie de stagnation. Le pays ne manque ni de compétences, ni de ressources, mais de volonté de rupture. Tant que la reconduction remplacera la réforme, la dette remplacera l’espoir.