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Bleuite, Coup d’Etat, Torture, Disparus : Hocine Zahouane, une conscience blessée de l’Algérie
Par Ihsane El Kadi
29 mars 2025
Rarement l’ambiance d’un enterrement n’a été autant perturbante. Étouffante. Le disparu aurait fait 90 ans en aout prochain et cela aurait pu suffire à consoler proches et amis. A apaiser le carré 261 du cimetière d’El Alia. Épais comme un brouillard de vallée, le malaise tenaillait ces adieux, éteignait les regards, volait des soupirs. Le décalage entre le nombre crépusculaire des présents et la stature du défunt ? L’absence des officiels ? Celle des médias ? Le soleil soudainement agressif si loin encore de l’Iftar ? Les témoignages spontanées qui tentaient de remettre le moment sur son piédestal.
Sentiment anxiolytique que quelque chose d’important se déroulait là sous nos yeux dans un maquis en embuscade de l’Histoire. Quelque chose d’essentiel. Mais quoi ? Pris par l’émotion j’ai déclamé à mes voisins « cet homme est l’anti-19 juin et nous vivons toujours sous le régime du 19 juin ». La formule pour claquante a cessé de me convenir les heures suivantes. Elle répondait imparfaitement à la question. Je suis resté hanté des jours durant pris dans les limbes de cette séparation, aux allures clandestines, de Hocine Zahouane d’avec sa légende.
Un acteur-témoin encombrant
Les hommages retraçant ses vies nombreuses et rocambolesques se sont multipliés sur les réseaux sociaux et, finalement, dans quelques médias gardiens à mi-temps du temple de la profession. Rien, ou presque, de ce qui m’était déjà connu.
J’ai fréquenté Hocine Zahouane la moitié de ma vie. Son frère ainé, Ahmed, et lui étaient des amis, des « frères » de mon père. C’est la compilation à grande intensité des textes hommages de nos amis communs, la relecture de sa préface au livre de Bachir Hadj Ali, qui soudainement m’a révélé le sens immanent de ces obsèques irréelles du mardi 18 mars à El Alia.
L’embargo officiel et para officiel qui frappait en cet instant déjà la mémoire de Hocine Zahouane était irréductible à un seul épisode de sa vie. Il trahissait un passif bien plus incommodant. Comme un rayonnement radioactif que l’on était soulagé d’enfouir. Oui, l’instant étant celui de la séparation avec un témoin à nul autre pareil de l’autre versant de notre récit national. Celui que l’on ne peut pas raconter.
L’Algérie ne se séparait pas en ce recoin de cimetière, juste d’un dissident au long court. Elle esquivait le regard intérieur de sa mauvaise conscience. Oui, Hocine Zahouane a fini, à son corps défendant, par incarner cette conscience blessée de l’envers le plus sombre de notre destin lumineux, celui de la résistance, de la libération et de l’édification d’un État digne de ses martyrs. C’est en cela qu’il pouvait devenir « encombrant » pour notre narcissisme patriotique. Redoutable pour tout le monde. C’est pour cela que nous n’étions pas nombreux en ce lieu, à ce moment.
Clairvoyance. Les hommages de ces derniers jours ont évoqué plusieurs moments clés de son parcours. Ils ont à chaque fois combiné héroïsme et désillusion. Un récit en contraste.
Je garderai toujours le grand regret de ne pas avoir, par ma profession et ma proximité, pu fixer pour l’éternité le récit de cet homme. J’ai compris il y a quelques années que s’il ne témoignait pas de son histoire, c’est parce qu’elle ne peut pas encore être entendue dans un si jeune pays. Clairvoyance. Les hommages de ces derniers jours ont évoqué plusieurs moments clés de son parcours. Ils ont à chaque fois combiné héroïsme et désillusion. Un récit en contraste.
Déjà à Belcourt au café familial, la veille du premier novembre. Une vingtaine d’activistes-maquisards détachés par Ouamrane de la Kabylie sont hébergés par son frère Ahmed, un de ses mentors dans le militantisme et il est, à 19 ans, aux avants postes de l’Histoire. Et déjà une première face cachée à l’héroïsme des uns. La vulnérabilité des autres. Ce détachement est venu, dans l’urgence, palier à la défection des activistes de la Mitidja pour attaquer les cibles du 1er novembre. Les hommes, même les révolutionnaires peuvent être versatiles. Sa détention terminée , Hocine Zahouane a fait face à un des pires épisodes de la guerre de libération en Wilaya 3 : la bleuite. Il est officier de l’ALN et commissaire politique. Il doit porter la voix de la raison devant ses ainés, bientôt sous l’étau de l’opération Jumelles. Un défi hors gabarit pour ses jeunes épaules. Il a à peine 23 ans et devant une hiérarchie, le colonel Amirouche, à la légende déjà écrite, il ne peut qu’atténuer l’emballement dévastateur de la bleuite. Sans doute sa blessure intime. Avant de les manger, La Révolution révèle les hommes.
S’il est désigné pour faire un rapport au GPRA sur la situation dans sa wilaya, c’est parce que son destin d’acteur-grand témoin est en marche depuis le début. Il est toujours dans cet interstice de l’Histoire qui lui aménage une distance morale, une possibilité d’en être et d’en rendre compte à la fois.
Un affront insupportable
A l’indépendance, les trahisons, les liquidations fratricides, la paranoïa ambiante, n’ont pas consumé tout le combustible du jeune révolutionnaire. Il n’est pas revenu de tout. Il a la foi en la construction d’un pays égalitaire, juste. Hocine Zahouane animateur avec Mohamed Harbi et d’autres d’une bouillonnante « aile gauche » du FLN se confronte à la règle cynique des Révolutions. Elles plient souvent leur période lyrique sous l’ordre et la discipline de comploteurs sans panache. En treillis de combat pour faire bonne mesure.
En condamnant par une formule claquante le coup d’État du 19 juin dans le bureau même du ministre de la défense nouvel homme fort du pays, Hocine Zahouane a défendu une grande ambition politique pour le mouvement inauguré 11 ans plus tôt par le recours aux armes. Il a profondément souffert qu’en cette convulsion au cœur d’une décennie si prometteuse des révolutionnaires – pas les premiers – fassent lourdement trébucher le lyrique récit Algérien dans le cloaque d’un « putsh sud-américain ». Un affront insupportable. Les vestes vont alors claquer. Et la peur s’installer.
Hocine Zahouane fera, avec ses amis, l’expérience du déchirement et des renoncements autour d’eux. Les maquisards de l’intérieur, les résistants politiques, les forces vives du pays concèdent, mois après mois, la militarisation du pouvoir. Son apprentissage des hommes se poursuit. Ses illusions s’amenuisent. Une question reste en suspend pour solder cette tranche de sa vie. A-t-il été du mauvais côté en se trouvant au bureau politique du FLN en avril 1964, lorsque l’insurrection du FFS dénonçait déjà la militarisation du pouvoir en plus de sa personnalisation avec Ben Bella ?
Les anciens du FFS ont bien sur une autre lecture de cette période. Elle marque pour tous la fin du romantisme révolutionnaire.
J’ai entendu Hocine répétait plus d’une fois que rien n’était joué durant cette période, qu’il était encore possible, au sein du FLN, de mettre politiquement au pas le clan de Oujda autour de Boumediene, que l’insurrection du FFS était une erreur contre productive qui a contribué à rendre le rôle de l’armée plus prégnant, et que l’inconsistance du leadership de Ben Bella a précipité le succès de la voie militaire. Les anciens du FFS ont bien sur une autre lecture de cette période. Elle marque pour tous la fin du romantisme révolutionnaire. La suite va s’écrire dans la résistance populaire. Face à de nouveaux bourreaux.
Le pire est à venir
La première fois ou j’aperçu Hocine Zahouane, c’était à l’automne 1981, j’étais au tribunal de Sidi M’hamed dans le box des accusés avec les 21 étudiants codétenus du printemps Amazigh. Il était rentré de son exil et faisait ses premiers pas pour intégrer le barreau d’Alger. Il avait déjà traversé l’Enfer. Et savait que le reste de sa vie il en confronterait tous les jours les plaies jamais refermées.
Dans notre collectif d’avocats, un certain Me Ali Yahia Abdenour. Une nouvelle histoire débutait. Ce qui y amena Hocine Zahouane est sans doute autant personnel qu’intellectuel. Il a connu la torture. Moment disloquant pour un révolutionnaire : il l’a subi sous l’Etat indépendant qu’il était prêt à mourir plus d’une fois pour voir naitre. Il sera symboliquement donc de l’aventure du Bassorah. Du nom du restaurant ou est lancé le projet d’une ligue des droits de l’homme algérienne.
Le jeune Hocine Zahouane aurait pu ressembler à un Robespierre de La Révolution algérienne par son coté pure et intransigeant face aux puissants. Sa fréquentation intime des turpitudes humaines corruptrices des plus beaux idéaux, l’amène à l’âge mature, à la défense d’un « standard minimal » des droits humains. Protéger le citoyen contre notamment les traitements indignes. Car, non, mille fois non, les algériens qui en ont tant souffert sous la domination coloniale, n’en sont pas abrités sous leur propre État.
Comme pour les lâchages au soir du 1er novembre, comme pour la folie paranoïaque de la bleuite, comme pour les volte-face du 19 juin, comme pour tout ce que l’histoire « officielle » redoute de documenter, lui est là aussi un Grand Témoin. Un témoin par sa chair. Non, l’Algérie ne protège pas ses citoyens du pire. Et à ce moment du récit le pire est encore à venir.
Le panache en leg
Lorsqu’à la deuxième moitié des années 90, la ligue algérienne de défense des droits de l’homme commença à documenter des cas de disparitions forcées de la guerre civile, Hocine Zahouane devinait plus que tous les autres, et avant eux, l’étendue du drame qui pointait. Il était d’une lucidité prophétique sur l’éthique du système de pouvoir algérien. Un régime usé qui n’avait pas renoncé à la torture, ni à l’assassinat politique ( Ali Mecili 1987), arrivé par la force, installé par la rente énergétique, incapable de poursuivre son auto-réforme n’allait pas faire de quartier dans sa lutte contre le terrorisme.
Dans le fracas de la violence politique il s’était mobilisé avec d’autres pour lutter contre le recours au rééchelonnement de la dette extérieure et les diktats du FMI qui allaient avec.
Lui était affranchi. Il avait arpenté depuis si longtemps le versant froid de cette montagne mythique qu’était l’Algérie en route vers son destin. Il connaissait les hommes, les codes de la barbouzerie, le discours flétri des élites en mode blanchiment de crimes d’État. Et abhorrait la pleutrerie des politiques devant le devoir d’indignation. Dans le regard de cet homme dur avec lui-même, s’était coagulée les couleurs d’une vie en clair-obscur. Il aurait pu en devenir amer. Il a miraculeusement épargné en lui une lueur chantonnant un avenir meilleur. L’éternel optimiste du cœur. Du militant.
Dans le fracas de la violence politique il s’était mobilisé avec d’autres pour lutter contre le recours au rééchelonnement de la dette extérieure et les diktats du FMI qui allaient avec. J’ai entendu plus d’une fois Zahouane plaidé avec un brillant argumentaire juridique la non-responsabilité des peuples non libres dans la banqueroute de leurs autocrates. Il était beaucoup moins doué pour les transactions et les compromis organiques dans le mouvement des droits humains en Algérie. Le mélange d’un tempérament de feu et d’un itinéraire anxiogène, une culture politique de l’urgence largement partagée dans la génération des libérateurs du pays.
Hocine Zahouane n’a pas réussi à préserver la ligue de défense des droits de l’homme dont il a hérité d’une frange fille d’une déplorable scission. Cet échec sera l’ultime énigme d’une vie de panache. Ou l’engagement comptait toujours plus que l’issue. Pour l’insurrection, contre les dérives paranoïaques, contre le coup d’État militaire, pour la résistance politique, contre la torture, pour le respect des droits de l’homme, contre la paupérisation des Algériens, pour les droits sociaux, contre le silence sur les disparus, pour un régime de droit respectueux des libertés.
Harbi-Zahouane
Je fais, à la faveur de ma filiation, partie des Algériens qui ont pris, à la fin des années Boumediene, comme boussole le tandem Harbi-Zahouane. Son courage politique, son excellence intellectuelle, sa droiture militante. L’association de ces deux noms était le « brand » le plus puissant de la dissidence algérienne. Un zeste de primauté du politique sur le militaire. Mohamed Harbi a, de son fabuleux itinéraire, fondé un enseignement académique innovant dans l’histoire du mouvement national. Il a fait œuvre utile pour plus d’une génération.
C’est le Chahid de Tahar Ouettar qui est revenu toutes les semaines depuis plus de soixante ans pour témoigner de notre infidélité au serment des suppliciés
Son frère de lutte du FLN à l’ORP, a fait autrement. Il s’est astreint à une autre temporalité. Son récit, sa trace se révèleront plus tard. Lorsque nous serons plus tranquille avec nous-mêmes. A bien y regarder, Hocine Zahouane a tout du martyr mort dans une haute vallée encaissée de Kabylie sous le bombardement de Challe. Mais qui a décidé de survivre pour observer ce que nous allions faire de son sacrifice. De celui des Chouhada. C’est le Chahid de Tahar Ouettar qui est revenu toutes les semaines depuis plus de soixante ans pour témoigner de notre infidélité au serment des suppliciés. Il ne pouvait, forcément, que devenir pénible à entendre. Et son départ pour un autre monde pouvait bien soulager les consciences les plus encombrées.
Le personnage qui vient de nous quitter est essentiel dans la construction d’un Sur Moi national. Une éthique de la vie et de la justice. Quelque chose qui, en puisant dans ce que nous ne voulons pas raconter de notre propre histoire et que lui connaissait, nous protégera dans l’avenir des bains de sang fratricides, de la torture et du mandat de dépôt téléphonique. Ce quelque chose qui se confond totalement avec la vie de Hocine Zahouane et qui en fait une rare conscience introspective. Un homme à part.
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