« Un journaliste bourré de culture et d’une plume raffinée. Un homme sensible au sort de son prochain », témoigne Ihsane El Kadi. « Une mémoire à toutes épreuves retranscrite avec une pertinence rarement égalée », ajoute Mechakra Redha. La disparition de Boubakeur Hamidechi, ce dimanche 12 octobre, a suscité une vague d’émotion dans le milieu journalistique algérien.
L’annonce du décès de Boubekeur Hamidechi, survenu ce dimanche, a provoqué une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux. Journalistes, intellectuels et simples lecteurs ont tous exprimé leur tristesse face à la perte de cette figure de la presse algérienne. À 83 ans, le chroniqueur constantinois laisse derrière lui plus de six décennies d’écriture et des milliers d’articles qui ont marqué plusieurs générations de lecteurs.
« Adieu mon ami Bob. Je garde de toi les bons souvenirs de nos années à El Hadef », écrit Azeddine Hammou, ancien confrère. Ce surnom, « Bob », revient dans de nombreux messages. Il dit quelque chose de la proximité que Hamidechi entretenait avec son entourage professionnel, malgré une carrière qui s’est étendue sur plusieurs décennies.
Ihsane El Kadi livre un souvenir précis : « Il m’a fait, en 1986, mieux comprendre Constantine au détour d’un tour cycliste de wilaya. » Cette capacité à transformer un événement sportif en leçon de géographie humaine caractérisait son approche du journalisme. Partir du terrain, observer, puis restituer avec précision ce qui fait la substance d’un territoire et de ses habitants.
Lamine Benzaoui rappelle un moment charnière de la presse algérienne : « Si mes souvenirs sont bons, il avait commis un extraordinaire article en 1997, alors que les journaux se livraient une bataille honteuse dont les journalistes étaient les malheureux instruments. Son article paru à El Acil avait pour titre : « Ingrat métier, ignobles confrères ». Un titre qui résumait parfaitement la situation de la presse et des journalistes en Algérie. » Cette lucidité face aux dérives du métier, cette capacité à nommer les choses sans détour, constituaient une signature.
Un parcours forgé dans la durée
Né en 1942, Hamidechi a traversé toutes les phases de construction de la presse algérienne post-indépendance. Il débute dans les années 1960, période où le journalisme se structure encore, où les modèles ne sont pas fixés. Cette génération a dû inventer ses propres règles, trouver un équilibre entre contraintes politiques et exigence professionnelle.
Son passage par différentes rédactions lui a permis de développer une écriture polyvalente. Sport, politique, société, culture : il abordait tous les sujets avec la même rigueur. Ses chroniques hebdomadaires proposaient une grille de lecture du pays qui échappait aux discours convenus. Il savait déceler dans les petits faits du quotidien les signes de transformations plus profondes.
Mechakra Redha le qualifie d’« encyclopédique », soulignant l’étendue de ses références culturelles. Hamidechi lisait beaucoup, citait ses sources, nourrissait son écriture d’une culture littéraire et historique solide. Cette érudition n’alourdissait jamais ses textes. Au contraire, elle leur donnait une densité que les lecteurs avertis savaient reconnaître.
« Une plume inégalable s’en va », résume sobrement Abdelouahab Lekouara. Cette formule dit l’essentiel : au-delà des titres et des fonctions, c’est bien un style qui disparaît. Une manière d’agencer les phrases, de construire un propos, de maintenir l’attention du lecteur tout en lui apportant de l’information et de la réflexion.
Une œuvre éclatée entre des dizaines de journaux
Les milliers d’articles signés Boubekeur Hamidechi sont aujourd’hui éparpillés dans les archives de plusieurs journaux. Certains ont disparu avec la fermeture des titres qui les ont publiés. D’autres dorment dans des collections privées ou des bibliothèques. Cette dispersion rend difficile une évaluation complète de son œuvre, mais n’en diminue pas la portée pour ceux qui l’ont lu régulièrement.
Sa mort survient alors que le journalisme traverse des mutations profondes. Entre accélération numérique, fragmentation des audiences et précarisation économique, le métier tel qu’il l’a exercé appartient désormais à une autre époque. Reste l’essentiel, ce socle de principes qui traversent les transformations techniques : la vérification des faits, la mise en perspective, le souci de la langue.
Avec Boubekeur Hamidechi disparaît l’une des voix qui auront accompagné, sur plus d’un demi-siècle, l’histoire tourmentée de la presse algérienne. Ses lecteurs garderont le souvenir d’une écriture sobre, d’un regard sans concession, d’une manière de restituer le réel qui refusait aussi bien l’embellissement que la caricature.