Le Bahreïn s’en souviendra. l’Algérie a corrigé les Bahreïnis (5–1) en 2e match de poule de la coupe arabe FIFA au Qatar. Avec un doublé, qui a marqué les esprits, de chacun de ses deux attaquants, Adil Boulbina et Redouane Berkane. À 22 ans tous les deux, les deux feux follets symbolisent une génération formée en Algérie qui s’exporte de plus en plus vers les championnats du Golfe arabe. Ils ont rejoint cet été la Qatar Stars League, championnat le plus compétitif de la région après la Saudi Pro League, et incarnent déjà une nouvelle vitrine de la filière “foot-business” algérienne, où la valeur se crée dans les clubs et les académies domestiques avant d’être captée à l’étranger.
Des transferts record pour deux enfants du championnat
Adil Boulbina sort de la meilleure saison de sa jeune carrière avec le Paradou AC, dont il a terminé meilleur buteur de Ligue 1. Al-Duhail a posé sur la table une somme estimée à un peu plus de 4 M€, soit la plus grosse vente de l’histoire du club et un nouveau record pour un joueur sortant directement du championnat algérien. Redouane Berkane, lui, a quitté la JS Kabylie pour Al-Wakrah contre un chèque avoisinant 650–670 000 dollars, une opération majeure pour un club kabyle exsangue financièrement mais aussi un signal fort envoyé au marché sur le potentiel des jeunes formés localement.
Ces deux deals s’inscrivent dans une séquence où l’exportation des jeunes talents formés sur place se consolide lentement comme un élément du business plan du football algérien. Le modèle connaissait son acte fondateur avec le placement de Bensebaini, Attal et Boudaoui sur le marché européen il y a quelques années déjà. Le Paradou AC, pionnier emblématique de cette filière, a déjà placé ces deux dernières années Yacine Titraoui à Charleroi pour environ 1,2 à 1,5 M€ selon les sources, avec pourcentage à la revente, après avoir déjà transféré Nadhir Benbouali dans le même club et monnayé les départs de Rafik et Lalam vers le Golfe pour un total proche de 700 000 €. Sur la période récente, Boulbina et Berkane sont simplement les plus visibles d’un mouvement plus large . Les deux attaquants de la sélection A’ de Madrid Bouguerra vont le devenir beaucoup plus après ce tournoi de la coupe arabe.
Un modèle rentable… sur le papier
Sur le papier, la filière est limpide : former en masse, vendre tôt, sécuriser des pourcentages et laisser les marchés plus riches (Europe intermédiaire, clubs qataris, Emiratis et saoudiens) assumer la phase suivante de valorisation. Avec une dizaine de transferts significatifs par saison, la Ligue 1 algérienne pourrait raisonnablement générer plus de 10 millions d’euros de revenus bruts annuels liés aux indemnités de transferts, de quoi structurer un véritable modèle économique dans un environnement où les recettes billetterie, sponsoring et droits TV restent faibles.
Les conditions sont là : un vivier important de licenciés, un championnat professionnel depuis quatorze ans, et l’émergence de nouvelles académies qui ont suivi la voie ouverte par le Paradou AC. Pourtant, la filière peine à décoller à son plein potentiel, faute de stratégie assumée au niveau des clubs et d’un taux de déperdition encore important des jeunes talents. L’exportation des meilleurs talents est pourtant tres profitable et pas seulement a la première transaction. Le transfert de Boulbina vers Al-Duhail inclut ainsi une clause de 25 % à la revente en faveur du Paradou, véritable jackpot différé si le joueur explose sportivement. Du côté de Berkane, un avenant signé avec la JSK prévoit un bonus de 30 % sur un future plus value de transfert, un mécanisme qui peut transformer un “bon coup” en rente si le joueur poursuit sa progression.
Ces clauses – bonus de performance, pourcentage à la revente, mécanismes de solidarité liés à la formation – permettent à un club vendeur et aux clubs formateurs d’émarger aux plus-values futures. Dans un contexte de trésoreries fragiles, la formation et l’exportation de talents peuvent devenir un axe important de business plan plutôt qu’un simple coup de chance ponctuel.
La matrice Paradou fragilisée
Contrairement à une idée reçue qui réduit la relative réussite internationale de l’Algérie dans le football à sa diaspora européenne, les joueurs formés localement ont continué à peser lourd dans les succès de l’équipe nationale. Lors du sacre à la CAN 2019 en Égypte, cinq joueurs sur le onze de départ champion d’Afrique avaient été formés dans les clubs et académies algériens. Si les jeunes Boulbina et Berkane confirment sur toute la durée de cette Coupe arabe, leur impact ne sera pas seulement comptable : ils renforceront l’image d’un footballeur algérien issu de la formation domestique, capable de performer en club au Qatar, en sélection et, demain, dans des championnats plus exposés.
Le paradoxe toutefois est que cette vitrine s’illumine au moment où sa matrice est fragilisée. L’académie du Paradou, modèle exportateur par excellence, est directement menacée par la situation de son président et cofondateur Kheireddine Zetchi, incarcéré depuis plus de dix-huit mois dans une affaire largement perçue, dans le microcosme du football, comme un règlement de comptes politique de l’après-Hirak. Le sort réservé à une personnalité dont le nom est lié à cette structure référence est un signal décourageant envoyé à l’écosystème entier de la formation algérienne.