Face aux tensions diplomatiques persistantes entre Alger et Paris, l’Algérie semble progressivement modifier son approche économique vis-à-vis de la France, traditionnellement l’un de ses partenaires commerciaux privilégiés. Bien qu’aucune mesure officielle de boycott n’ait été annoncée, les entreprises françaises ressentent déjà les effets de ce changement d’attitude, comme l’a récemment révélé un reportage diffusé sur France 2.
Les autorités algériennes ont apparemment commencé à exercer un contrôle plus strict sur les importations en provenance de France. D’après plusieurs dirigeants français qui préfèrent garder l’anonymat, leurs demandes d’autorisation pour des importations sont désormais “quasi systématiquement rejetées par Alger”.
Cette nouvelle réalité a contraint certaines entreprises à élaborer des stratégies de contournement. “On est obligé de passer par des sociétés tierces à l’étranger. Soit on fait des sociétés en Italie, en Espagne, en Belgique, ou autre chose. Et on demande des accords d’importation depuis ces pays”, confie un chef d’entreprise, ajoutant que cette solution entraîne “beaucoup plus de temps, beaucoup plus de tracas”.
Cette situation préoccupe particulièrement les 6 000 entreprises françaises qui entretiennent des relations commerciales avec l’Algérie, deuxième marché africain pour les exportations françaises. Les grands groupes français implantés dans le pays ont même reçu des consignes inhabituelles : “On s’organise pour ne plus faire venir de pièces françaises et que l’opération ne soit pas financée par une banque française. En gros, effacer toute trace de la France”.
Le constructeur automobile Renault illustre parfaitement cette impasse. Bien que le groupe affirme avoir réorganisé sa production, il attend toujours l’autorisation d’Alger pour relancer ses chaînes de montage.
Pour l’Algérie, cette redéfinition des relations économiques avec la France représente une opportunité de diversifier ses partenariats internationaux. Le président de la chambre de commerce franco-algérienne le confirme : “Si elle ne travaille pas avec la France, elle travaillera avec d’autres. Et je peux vous dire que les Allemands, les Italiens et d’autres pays encore sont aujourd’hui très actifs sur l’Algérie, car ils sont en train de prendre les parts de marché que les Français sont en train de perdre”.
Cette évolution place les entreprises françaises dans une position inconfortable, comme en témoigne Patrick Boukhobza, directeur d’une usine marseillaise qui fabrique des climatiseurs industriels exclusivement destinés au marché algérien. Avec un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros l’an dernier, son entreprise dépend entièrement de ses clients algériens.
“Les clients me disent, est-ce que vous allez pouvoir nous livrer ? Moi j’ai un projet pharmaceutique, j’ai un projet agroalimentaire. Est-ce que vous allez arriver à le faire ?”, rapporte-t-il avec inquiétude. Et d’ajouter : “Si jamais il y avait un boycott total de part et d’autre, nous, mais beaucoup d’entreprises françaises, on perdrait beaucoup. C’est une catastrophe.”
Pour l’économie algérienne, cette réorientation pourrait s’avérer bénéfique à long terme, permettant de négocier des conditions plus avantageuses avec de nouveaux partenaires et d’accéder à une plus grande diversité de technologies. Dans les secteurs stratégiques comme l’automobile, la pharmacie ou l’agroalimentaire, prioritaires pour le développement économique national, les autorités algériennes pourraient privilégier des partenariats avec des entreprises non françaises ou renforcer leurs propres capacités industrielles.
Paradoxalement, malgré ces tensions et obstacles administratifs, les importations de produits français en Algérie ont augmenté de près de 7% l’année dernière. Cette contradiction apparente suggère que les relations économiques entre les deux pays demeurent complexes et ne peuvent être réduites à une simple rupture, même si l’Algérie semble désormais déterminée à établir de nouvelles règles du jeu, plus conformes à ses intérêts nationaux et à sa vision d’une relation d’égal à égal avec son ancien colonisateur.
Yasser K.