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Changer de logiciel sur les travailleurs migrants en Algérie

Par Ihsane El Kadi 9 mai 2025

L’économie algérienne a besoin de main-d’œuvre migrante. Pour la première fois, un président algérien l’admet explicitement. Lors de sa visite à Béchar, Abdelmadjid Tebboune a mis sur la table la question de la main-d’œuvre subsaharienne. Une esquisse d’immigration choisie se dessine, peut-être.. À l’origine : un déficit chronique de ressources humaines dans au moins deux secteurs clés — l’agriculture saharienne et le bâtiment, sur l’ensemble du territoire. Une pénurie devenue structurelle au fil des années, partiellement comblée dans une zone grise du droit.

Les travailleurs subsahariens, souvent en situation irrégulière, sont régulièrement expulsés après des rafles menées par les forces de sécurité. Les plus chanceux sont parfois rattrapés in extremis par leurs employeurs. Le préjudice est circulaire : des travailleurs précarisés, leurs familles privées de revenus, des chantiers à l’arrêt, des récoltes retardées.

Pourtant, la réforme permettant de changer le statut des travailleurs migrants en Algérie n’est pas près d’être soumise au Parlement. Elle est, selon les propos du président, conditionnée par un retour à la stabilité dans les pays d’origine, notamment ceux au sud du Sahara. Les grands pays qui pratiquent une immigration choisie passent rarement par des accords intergouvernementaux. Ils recrutent directement à travers leurs réseaux consulaires, les candidats à l’émigration. Le Canada, par exemple, a attiré des milliers d’ingénieurs, médecins et informaticiens algériens sans jamais négocier avec le gouvernement algérien.

Il ne s’agit pas pour l’Algérie de reproduire ce modèle inégal. Mais il est parfaitement possible de légaliser la situation de milliers de travailleurs étrangers employés au noir, sans attendre le retour hypothétique à l’ordre constitutionnel à Niamey, Bamako ou Ouagadougou. Les bénéfices d’une telle réforme sont également circulaires : intégration dans l’économie formelle, contribution fiscale, accès à la couverture sociale, envois de fonds vers les pays d’origine. Ces avantages ont d’ailleurs été cités par le président à Béchar.

Il faut observer la réalité sociologique de cette décennie de crispation : les standards de vie d’un pays à revenu intermédiaire comme l’Algérie attirent une main-d’œuvre subsaharienne. Paradoxalement, ces mêmes standards — insuffisants, comme le montre la parité réelle du dinar — combinés à une insécurité juridique croissante, ne retiennent ni les élites ni ne font revenir les talents de la diaspora.

Ajoutons à cela la trajectoire démographique : l’Algérie approche le seuil critique de 2,1 enfants par femme. Dans ce contexte, la régularisation et la réforme du travail des migrants deviennent une urgence économique, et non une prise de position téméraire d’un chef d’État.

Au seuil des flux mondiaux

Il n’y a aucune fatalité. L’Algérie n’est pas condamnée à être un hub qui accueille, d’un côté, une main-d’œuvre non qualifiée tout en perdant, de l’autre, ses ressources humaines les plus formées. Elle doit changer le curseur de son attractivité, sans se tromper sur les grandes tendances de l’économie mondiale. Le commerce peut ralentir dans un contexte protectionniste, mais la circulation des compétences, elle, persiste. Elle a largement contribué à la prospérité des pays d’accueil — y compris celui de Donald Trump, qui prétend s’y opposer.

Les polémiques identitaires actuelles et leur judiciarisation excessive ne préparent pas les Algériens à débattre d’une société plus ouverte, qui assume sa place dans la circulation mondiale des compétences et le pluralisme culturel qu’elle implique.

En 2023, les travailleurs immigrés représentaient en moyenne 7 % de la population active de l’Union européenne. Ce taux varie fortement selon les pays : inférieur à 3 % en Pologne, Bulgarie ou Roumanie, mais supérieur à 25 % en France ou en Allemagne. Il ne s’agit pas de dire que plus d’immigrés signifie plus de richesse, — la prospérité est un processus complexe. Mais les pays les plus riches sont aussi ceux qui attirent le plus de compétences, au détriment des pays d’origine.

Avec à peine 0,8 à 0,9 % de travailleurs étrangers dans sa population active, l’Algérie reste en marge des grands flux de compétences et de main-d’œuvre qui redessinent les cartes de la puissance économique mondiale. Après l’ouverture esquissée à Béchar, saura-t-elle enfin y réfléchir ?

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