L’été 2025 a vu une avancée discrète, mais décisive dans les négociations entre l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft) et deux majors américaines, ExxonMobil et Chevron.
Alors que l’opinion publique avait les yeux rivés sur le génocide en cours à Gaza, Alger a quasiment finalisé un pré-accord qui, une fois des derniers obstacles levés – notamment la fiscalité — ouvrirait la voie à l’exploitation par ces compagnies des importantes réserves algériennes de gaz de schiste.
Paroles pro-palestiniennes, actes pro-américains
À New York cette semaine, l’Algérie s’est à nouveau illustrée par la voix vibrante de son représentant Amar Benjama, rappelant avec force le droit inaliénable du peuple palestinien à un État et dénonçant le massacre en cours et lui présentant ses excuses de n’avoir pas pu mieux le défendre de la tentative d’extermination déployée par Israël… Dans le même temps, Washington, en allie inamovible d’Israël, a opposé son sixième veto consécutif à une résolution du Conseil de sécurité exigeant un cessez-le-feu immédiat.
L’image est saisissante : d’un côté, des paroles hautes et fermes en faveur des droits palestiniens ; de l’autre, une négociation économique majeure avec deux multinationales étroitement liées à l’administration Trump, aujourd’hui revenue à la Maison-Blanche et outrageusement alignée sur les positions les plus radicales d’Israël.
Cette contradiction entre discours et faits interpelle les limites de la Réal Politique.. Signer aujourd’hui, dans ce contexte sanglant, un partenariat stratégique avec deux géants américains du secteur énergétique revient à envoyer un signal inverse à celui proclamé dans les enceintes diplomatiques : celui d’un rapprochement avec la puissance qui bloque toute issue politique et humanitaire à Gaza. Le sens moral devrait commander d’attendre, voire de conditionner la conclusion de tels accords, à l’arrêt du génocide en cours.
Entre urgence énergétique et responsabilité politique
Certes, ce n’est pas contestable, l’Algérie a besoin de diversifier et de renforcer sa production énergétique. Ses réserves conventionnelles sont sous pression, la demande européenne reste forte, et les revenus gaziers représentent un levier vital pour financer les investissements sociaux et industriels du pays.
L’argument de la nécessité est recevable. Y compris en envisageant d’ajouter sous certaines conditions les hydrocarbures non conventionnelles au mixte énergétique national dans la transition vers un modèle bas-carbone. Il faudra toutefois le faire sans commettre de parjure politique. La complaisance avec l’administration Trump doit être sérieusement examinée à l’aune des intérêts algériens de long terme. Pas de riposte aux mesures douanières unilatérales – 30% – est un choix qui encore se défendre. Aller, dans un tel contexte, à la rencontre du « désir » de l’administration Trump de renforcer ses garanties d’approvisionnement en énergie carbone est une faute politique. Aux yeux des palestiniens et de l’humanité de plus en plus large qui les soutient.
Elle est doublée d’un autre impair. Le débat national sur le recours à la fracturation hydraulique, seule technique aujourd’hui disponible pour extraire le gaz de schiste, est sous scellés. Les contestations sociales d’In Salah, réduites au silence depuis des années, n’ont jamais trouvé de réponse transparente ni de garanties suffisantes. Conclure dans l’urgence, c’est tourner le dos à un débat public indispensable.
Reporter pour mieux décider
En réalité, il n’y a pas d’urgence. Même signés demain, les accords avec Exxon et Chevron ne généreraient pas de revenus substantiels avant sept ou huit ans, le temps d’achever l’exploration, d’investir dans les infrastructures et de lancer une production commerciale. Reporter leur conclusion de quelques mois, voire de quelques années, ne mettrait pas en péril la sécurité énergétique du pays.
Cela permettrait au contraire de replacer ce choix dans son contexte : celui d’une transition énergétique où le renouvelable doit être la priorité stratégique, celui d’un débat démocratique sur l’exploitation des ressources non conventionnelles, et surtout celui d’une solidarité internationale ou le moindre geste de pression compte pour faire cesser l’innommable à Gaza.
L’Algérie va devoir investir dans un mix énergétique inventif et varié pour son avenir. Le plus souvent avec les partenaires industrielles et commerciaux étrangers. Elle doit aussi rester cohérente avec l’actif patrimonial qu’elle représente par ses valeurs proclamées de justice et d’indépendance. Signer avec Exxon et Chevron sous les bombes de Gaza serait, un contre-sens politique et une erreur stratégique. Reporter, conditionner, débattre : voilà l’urgence véritable.