Les menaces iraniennes de fermeture du détroit d’Ormuz résonnent jusqu’à Alger. Depuis le 13 juin, les déclarations du député Sardar Esmail Kowsari, affirmant que la fermeture du détroit était « à l’étude », ont provoqué un séisme sur les marchés énergétiques mondiaux. Cette artère maritime, qui canalise près de 20% du pétrole mondial, cristallise aujourd’hui les tensions géopolitiques entre l’Iran et Israël. Pour l’Algérie, dixième producteur mondial de pétrole, cette crise potentielle dessine un horizon à double tranchant.
L’hypothèse d’un blocage du détroit d’Ormuz transformerait radicalement la donne énergétique mondiale. Selon les analyses de Bloomberg, Marcus Garvey, responsable de la stratégie matières premières chez Macquarie, envisage un scénario où « même si ce n’est que très temporairement, le prix du pétrole pourrait par exemple dépasser 200 dollars le baril ». Cette perspective, qualifiée d’extrême par l’analyste, reflète néanmoins la sensibilité du marché aux moindres perturbations dans cette zone stratégique.
En effet, 20 à 30% du pétrole mondial transite par ce goulot d’étranglement, incluant 85% des exportations irakiennes et la totalité de celles du Koweït, d’Oman et du Qatar. Les réactions immédiates des marchés, avec des hausses de 10 à 13% après les récentes frappes, confirment cette vulnérabilité structurelle de l’approvisionnement énergétique mondial.

Une aubaine financière aux multiples facettes
Pour l’Algérie, cette crise représenterait paradoxalement une opportunité économique sans précédent. Le pays tire 93% de ses revenus en devises des hydrocarbures, faisant de toute hausse des prix un levier direct d’enrichissement des caisses de l’État. Sonatrach, la compagnie nationale, pourrait ainsi renégocier ses contrats dans un contexte où les prix du gaz naturel liquéfié pourraient tripler.
Cette manne financière inattendue arriverait à point nommé pour un pays confronté à des défis budgétaires persistants. Les réserves de changes algériennes, sous pression depuis plusieurs années, bénéficieraient d’un apport substantiel, offrant à l’État une marge de manœuvre financière élargie pour ses projets d’investissement et ses programmes sociaux.
L’avantage géographique de l’Algérie joue également en sa faveur. Contrairement aux producteurs du Golfe Persique, l’Algérie exporte principalement via ses ports méditerranéens d’Arzew et de Skikda. Cette configuration la protège mécaniquement des perturbations affectant le détroit d’Ormuz, lui conférant un avantage concurrentiel temporaire sur ses concurrents du Moyen-Orient.
Les risques d’une dépendance renforcée
Cette prospérité soudaine pourrait toutefois masquer des fragilités structurelles. Une forte hausse des revenus pétroliers risque de retarder les réformes économiques indispensables à la diversification de l’économie algérienne. Le syndrome hollandais, cette maladie économique qui frappe les pays trop dépendants de leurs ressources naturelles, pourrait s’accentuer si l’Algérie cède à la facilité des pétrodollars.
L’instabilité régionale générée par une escalade au Moyen-Orient affecterait inévitablement les partenariats énergétiques de l’Algérie, notamment avec l’Europe. Les pays européens, confrontés à une crise énergétique d’ampleur, pourraient accélérer leur transition vers les énergies renouvelables, réduisant structurellement leur demande en hydrocarbures. Cette réaction, bien qu’atténuant temporairement la crise, compromettrait les débouchés à long terme de l’Algérie.
La question des capacités de production se pose également. Si l’Algérie dispose théoriquement de marges de manœuvre pour augmenter sa production, les infrastructures vieillissantes et les sous-investissements chroniques limitent sa capacité à répondre rapidement à une demande accrue. Cette contrainte technique pourrait l’empêcher de capitaliser pleinement sur l’opportunité de marché.
Une fermeture du détroit d’Ormuz placerait l’Algérie dans une position ambivalente. Bénéficiaire à court terme d’une hausse exceptionnelle des cours, le pays devrait simultanément gérer les conséquences géopolitiques d’une crise qui redéfinirait les équilibres énergétiques mondiaux.