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Contribution⎮Comment l’Algérie a encore manqué le virage post-pétrole

Par Abderahmi Bessaha
14 juillet 2025
Abderahmi Bessaha Expert international

Le contre-choc pétrolier de 2014 a révélé les vulnérabilités de l’économie algérienne. Plutôt que d’engager un ajustement structurel, les autorités ont opté pour des mesures de financement conjoncturel, compromettant ainsi la transition vers un modèle économique post-hydrocarbures.

Ce troisième article analyse l’évolution de l’économie algérienne entre 2014 et 2019, période marquée par le second choc pétrolier qui a exacerbé les déséquilibres d’une économie encore largement dépendante des hydrocarbures. Après des mesures ad hoc en 2014-2015, un plan ambitieux de réformes pour 2016-2030 a été lancé début 2017, mais rapidement abandonné au profit d’une stratégie de financement à court terme. Ce revirement stratégique, dicté par des impératifs sociaux immédiats et un manque de vision à moyen et long terme, a freiné la diversification économique, affaibli la résilience macro-économique et renforcé les vulnérabilités structurelles.

A l’instar des années 1990, il devient essentiel de relancer des réformes profondes (pour certaines déjà mises en place puis démantelées) pour restaurer les équilibres macroéconomiques et soutenir une croissance inclusive et durable, malgré des contraintes internes persistantes et des chocs externes récurrents. Discutons de tous ces points.

Le contre-choc pétrolier de 2014: une surabondance de l’offre et un fléchissement de la demande mondiale.

Entre 2000 et 2013, les prix du pétrole ont été marqués par une forte volatilité : après un pic de 145 $ en 2008, suivi d’un effondrement à $40 durant la crise financière, ils se sont stabilisés entre $80 et $110 entre 2010 et 2013. A partir de mi-2014, l’offre a continué de croître, du fait de l’essor du pétrole de schiste aux États-Unis et une production soutenue des pays non-OPEP, tandis que la demande ralentissait, notamment en Chine et en Europe, sous l’effet du ralentissement économique et de gains d’efficacité énergétique.

L’Arabie Saoudite a choisi de préserver ses parts de marché plutôt que de réduire sa production, déclenchant une chute des prix de $10 $ à $30 entre 2014 et début 2016. Ce choc externe massif a bénéficié aux pays importateurs mais a fragilisé les pays producteurs. Le redressement partiel des prix autour de $70 en 2017-2018 n’a pas suffi à restaurer les équilibres macroéconomiques, et leur rechute à $60 en 2019 a confirmé la volatilité persistante des marchés pétroliers et leurs effets déstabilisateurs.

Une gestion rationnelle du choc pétrolier nécessitait un revirement stratégique vers un ajustement macroéconomique et structurel. Pour ce faire, il était important de :

  • Définir une stratégie de réformes à moyen terme, conduite sans pression externe ni perte de souveraineté et surtout avec une forte internalisation. Ce dernier point est important du fait de la disponibilité de réserves de change confortables (32 mois d’importations) et d’une épargne budgétaire de 5563,5 milliards de DA (33% du PIB) au niveau du Fonds de régulation des recettes.
  • Rompre avec l’approche partielle autour d’une seule consolidation budgétaire engagé en 2013 avec des résultats mitigés : En 2013, les autorités ont enregistré des résultats macroéconomiques contrastés. Le déficit budgétaire a été réduit de 5% du PIB en 2012 à 0,9% en 2013, principalement grâce à la baisse des dépenses courantes. L’inflation a reculé à 3,3% (contre 8,9% en 2012), sous l’effet conjugué du resserrement de la politique monétaire et de la baisse des prix alimentaires.
  • La compétitivité extérieure s’est légèrement améliorée (+0,9%) et les réserves de change ont progressé à 194 milliards de dollars, en grande partie en raison d’effets de valorisation. En revanche, le solde courant s’est fortement dégradé, passant d’un excédent de 5,9% du PIB à 0,4%, sous l’effet d’une baisse marquée des exportations d’hydrocarbures et d’une hausse continue des importations. La croissance du PIB réel a ralenti à 2,8% (contre 3,3% en 2012), pénalisée par une contraction de 5,5% de la production d’hydrocarbures et par une réduction des dépenses publiques, malgré une croissance robuste du secteur hors hydrocarbures (+7,1%). Le crédit au secteur privé a poursuivi sa progression, mais l’excédent de liquidité s’est accentué, traduisant une efficacité limitée des instruments de stérilisation monétaire. Le système bancaire est resté globalement solide et bien capitalisé, bien que l’approfondissement financier demeure limité et les marchés de capitaux peu développés. Enfin, le taux de chômage global a diminué à 9,8%, mais celui des jeunes reste élevé (24,8%), signalant des déséquilibres structurels persistants sur le marché du travail.

La stratégie d’ajustement indispensable face au contre-choc pétrolier : un tournant crucial en quatre axes:

  • Un axe de stabilisation macroéconomique, y compris : (i) une consolidation budgétaire progressive (réduction du déficit, réforme des subventions avec protection sociale, élargissement de l’assiette fiscale et des taux hors hydrocarbures, amélioration de l’efficience de l’ investissement public) pour restaurer la soutenabilité des finances publiques ; (ii) une flexibilité accrue du taux de change pour renforcer la compétitivité, corriger la surévaluation du taux effectif réel et faciliter l’ajustement externe ; (iii) une politique monétaire prudente (gestion rigoureuse de la liquidité, ciblage de l’inflation, coordination avec la politique budgétaire) pour préserver la stabilité macroéconomique ; et (iv) un renforcement de la supervision financière (cadre prudentiel et outils de gestion des crises) pour limiter les risques systémiques liés à la dépendance aux hydrocarbures et à l’interconnexion avec les finances publiques.
  • Un axe structurel visant à : diversifier l’économie et soutenir une croissance durable ; améliorer le climat des affaires ; libéraliser les échanges commerciaux ; attirer les IDE ; développer des marchés financiers ; réformer le marché du travail ; et adapter le système éducatif aux besoins du secteur privé. Dans ce contexte, la levée progressive des restrictions aux importations devrait s’accompagner de politiques actives de soutien à la productivité et aux exportations.
  • Un axe financement favorisant des formes de financement combinées : en raison de la détérioration anticipée des réserves de change, ce mix devrait comprendre un recours accru au financement domestique, un endettement externe mesuré et une privatisation sélective pour mobiliser des ressources et améliorer l’efficience du secteur public.
  • Un axe communication claire appuyé par un consensus politique solide, garants de sa crédibilité et de sa pérennité.

L’Algérie face au choc pétrolier de 2014: de mesures partielles et usage des réserves à un nouveau modèle avorté, puis à l’illusion d’une croissance par la dette

Mesures partielles et utilisation des réserves pour amortir le choc (2014-2015) : La chute des prix du pétrole en 2014 a exposé les vulnérabilités structurelles de l’économie algérienne, fortement tributaire des hydrocarbures (près de 95% des recettes en devises et plus de 60% des recettes budgétaires).

En l’absence de stratégie d’ajustement cohérente, les autorités ont privilégié des réponses de court terme, maintenant des niveaux élevés de dépenses publiques, notamment en salaires et subventions. Le plan quinquennal 2015-2019 a confirmé cette orientation, creusant le déficit budgétaire à 15,7% du PIB en 2015, financé principalement par les réserves de change, sans effort de consolidation.

La Banque d’Algérie a laissé le dinar se déprécier de 20% entre fin 2013 et fin 2015, tandis que l’inflation a augmenté à 4,8% en 2015. La politique monétaire est restée accommodante. Sur le plan externe, le compte courant s’est fortement détérioré (-16,6% du PIB), les réserves de change ont entamé leur repli en l’absence de financements alternatifs ou de réformes et le dinar enregistrait une dépréciation cumulative de 24,1%.

La croissance du PIB réel est demeurée modérée (3,8% en 2014 et 3,7% en 2015), tirée par les dépenses publiques, tandis que la croissance hors hydrocarbures est restée faible, traduisant l’atonie du secteur privé et le manque de réformes structurelles.

Adoption d’un nouveau modèle de croissance irréaliste (2016):

Face à la chute des prix du pétrole et à la détérioration des équilibres macroéconomiques, les autorités ont adopté une loi de finances axée sur l’ajustement budgétaire et lancé, en juillet 2016, un Nouveau modèle de croissance (NMC) pour la période 2016-2030. Ce cadre visait à réduire la dépendance aux hydrocarbures, promouvoir la diversification économique (industrie, agriculture, services), renforcer la soutenabilité budgétaire, améliorer l’efficacité des dépenses publiques et stimuler le secteur privé.

Cependant, le NMC souffrait de faiblesses majeures : absence de feuille de route opérationnelle, manque de coordination interinstitutionnelle, indicateurs de suivi inexistants et hypothèses macroéconomiques excessivement optimistes. Il ne reposait ni sur une réforme fiscale crédible ni sur des mesures concrètes de soutien à la croissance hors hydrocarbures, limitant sa crédibilité et son impact. La mise en œuvre des réformes structurelles a été lente, notamment en matière de climat des affaires, de régulation et de réforme du secteur financier.

Le secteur public, en particulier bancaire, est resté dominant, freinant le développement du secteur privé. Le NMC a également souffert d’un ancrage institutionnel et politique insuffisant, sans base légale claire ni dispositifs robustes de gouvernance, dans un contexte politique instable. En dépit d’une vision stratégique pertinente, l’absence d’un cadre opérationnel cohérent, l’insuffisance des réformes et le déficit d’engagement politique ont conduit à son abandon rapide, rendant l’effort largement théorique.

Recul stratégique et tournant monétaire injustifiable (2017):

A la mi-2017, les autorités ont rapidement abandonné le Nouveau modèle de croissance (NMC) et le cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) jugé trop contraignant. Malgré des recettes fiscales faibles, l’option d’un endettement extérieur a été écartée.

La loi sur la monnaie et le crédit a été amendée pour autoriser la Banque d’Algérie à financer directement le déficit budgétaire, le Fonds national des investissements et les entreprises publiques, marquant un virage vers une politique budgétaire expansionniste destinée à relancer la croissance en 2018, au prix d’un report de l’assainissement budgétaire à 2019 et d’une augmentation des risques financiers. Parallèlement, la dépréciation du dinar a été ralentie (3,8% à fin décembre 2017 en glissement annuel), masquant des tensions monétaires et financières sous-jacentes. Pour contenir les pressions extérieures, des restrictions à l’importation, dont des barrières douanières, ont été réintroduites, traduisant un retour à une politique de substitution des importations.

Cette stratégie a conduit à un fort ralentissement de la croissance, à 1,6% en 2017, en lien avec une contraction de la production d’hydrocarbures (-3%) et un ralentissement de la croissance hors hydrocarbures (2,6%). L’inflation est restée élevée à 5,6%, tandis que le chômage persiste à un niveau préoccupant (11,7%), particulièrement chez les jeunes (28,3%) et les femmes (20,7%). Sur la même période, le dinar s’est déprécié de 9% par rapport au dollar.

Reprise illusoire et montée des vulnérabilités (2018):

Le financement monétaire a été pleinement mobilisé, atteignant près de 23% du PIB en fin d’année. Cette injection de liquidité a soutenu une légère reprise de la croissance (2,4%), tirée par les secteurs de la construction, des services et de l’investissement public. Toutefois, cette expansion a accru les risques inflationnistes et extérieurs, bien que l’inflation moyenne ait temporairement reculé à 4,3%.

Le blocage des réformes essentielles – gouvernance des entreprises publiques, subventions, marché du travail, climat des affaires – a paralysé la transformation économique et compromis la croissance potentielle. L’épuisement des marges budgétaires (FRR, réserves de change) et l’exposition croissante des banques publiques aux risques souverains ont réduit la capacité de résilience face à des chocs ultérieurs

Abderahmi Bessaha

Le dinar a poursuivi sa dépréciation, perdant environ 6% supplémentaires face au dollar entre début 2017 et fin 2018. Les réformes structurelles annoncées (réforme des subventions, gouvernance des entreprises publiques, amélioration du climat des affaires) sont restées largement à l’arrêt. Le secteur bancaire a vu ses risques croître, avec une exposition accrue aux entreprises publiques, accentuant les liens entre déséquilibres budgétaires et vulnérabilités financières.

Quand l’Algérie rate le virage post-pétrole.

La réponse de l’Algérie au contre-choc pétrolier de 2014 a révélé de graves faiblesses institutionnelles et une absence de stratégie de réformes cohérente. Malgré une tentative initiale de cadrage budgétaire à moyen terme en 2016, l’abandon rapide de cette orientation a montré une préférence pour des politiques expansionnistes financées par création monétaire, au détriment de la stabilité macroéconomique. Cette stratégie a affaibli la crédibilité des politiques économiques, exacerbé les risques inflationnistes et réduit l’efficacité de la politique monétaire.

Le blocage des réformes essentielles – gouvernance des entreprises publiques, subventions, marché du travail, climat des affaires – a paralysé la transformation économique et compromis la croissance potentielle. L’épuisement des marges budgétaires (FRR, réserves de change) et l’exposition croissante des banques publiques aux risques souverains ont réduit la capacité de résilience face à des chocs ultérieurs, notamment la pandémie et l’inflation mondiale. Enfin, la persistance d’une faible diversification des exportations et d’un faible niveau d’IDE souligne la vulnérabilité structurelle de l’économie algérienne aux cycles énergétiques mondiaux.

Par Abderahmi Bessaha
Expert international

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