Au moment où les délégations défilent à la COP30 de Belém pour expliquer comment elles comptent sortir des fossiles, l’Algérie arrive les mains presque vides. Le pays au plus gros gisement solaire de la région reste un système électrique à 98% généré par le gaz naturel.
Plus gênant encore : en cinq ans, le pays est passé d’un grand écart entre un narratif ambitieux de transition et des réalisations dérisoires à une situation où même le narratif sur la transition a disparu. Le président Tebboune, tourné vers un nouvel âge minier pour le pays, ne parle plus d’agenda de la décarbonation. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, avec son retrait répété de l’Accord de Paris et ses coupes dans le soutien aux technologies propres, a visiblement fini de décomplexer les climato-sceptiques au pouvoir.
À Alger, le dérèglement climatique est redevenu ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être pour certains : une « affaire de riches », un problème « exagéré » par le Nord pour imposer des contraintes au Sud, freiner son rattrapage industriel, et empêcher les pays riches en ressources naturelles de monétiser jusqu’au dernier mètre cube de gaz ou baril de pétrole. La place fantomatique accordée par le gouvernement aux enjeux planétaires qui se déroulent à Belem résume le propos.
De 22 GW promis à 0,6 GW installés : le vert en option
Rappel des faits. En 2011, l’Algérie se dote d’un Programme national ENR : 12 GW de capacités renouvelables à l’horizon 2030, relevés à 22 GW en 2015, dont 13,5 GW de solaire. Aujourd’hui, la feuille de route officielle s’est rapetissée : 15 GW de renouvelables d’ici 2035, soit environ –32 % d’ambition pour un horizon repoussé de cinq ans.
Et la réalité ? Fin 2023, le pays affiche 600,9 MW de capacités renouvelables installées, dont 472 MW hors hydrocarbures, à peine 0,6 GW. C’est moins de 4 % de l’objectif initial de 22 GW et à peine 4 % de la nouvelle cible de 15 GW.
Sur le plan de la production, les ordres de grandeur sont encore plus crûs : la production électrique a été portée à environ 85 TWh en 2021, elle est générée à près de 99 % au gaz, le reste se partageant entre quelques barrages et un peu de solaire.
Autrement dit, 99 % de la hausse de la consommation électrique depuis 2010 a été couverte par des centrales au gaz.
Pendant ce temps, la planète bouge – lentement, mais dans la bonne direction. En 2024, les renouvelables fournissent 32 % de l’électricité mondiale, contre 30 % en 2023. La production « propre » (renouvelables + nucléaire) atteint près de 40 % du mix électrique global. Et surtout, la croissance est presque entièrement verte : 92,5 % des nouvelles capacités électriques ajoutées en 2024 sont renouvelables. Près des trois quarts de la croissance de la production mondiale viennent d’éolien et de solaire, dopés par le boom chinois.
Le comparatif en devient brutal : Dans le monde 2024 : 32 % d’électricité renouvelable, plus de 90 % de la demande additionnelle couverte par du bas-carbone. En Algérie en 2023 : 99 % de l’électricité au gaz, à peine 1–3 % de renouvelables selon les sources.
Là où le reste du monde utilise le solaire et l’éolien pour absorber la poussée de la demande électrique (numérique, climatisation, mobilité), l’Algérie, elle, brûle davantage de gaz. L’écart n’est plus seulement technologique : il devient stratégique.
Sonelgaz, juge et partie d’une transition impossible
Sur le papier, les programmes se succèdent : 22 GW, puis 13,5 GW de solaire, puis 15 GW de renouvelables, 4 GW annoncés pour 2025, appels d’offres de 2 000 MW… Sur le terrain, la montagne accouche de parcs solaires au compte-gouttes.
Les échecs répétés des appels d’offres, les retards de signature, la complexité des cahiers des charges ne sont pas des accidents. Ils sont la conséquence d’un conflit d’intérêts structurel . Sonelgaz contrôle le réseau, planifie le parc, vend une électricité massivement subventionnée produite à partir d’un gaz lui-même subventionné. Lui demander en plus de piloter un basculement vers des technologies qui, à terme, réduiraient son rôle central dans la rente gazière, est finalement un pari tacite sur l’échec.
À cela s’ajoute l’alibi industriel : pas de solaire sans « intégration locale », usines de modules, contenu national, etc. Sur le principe, pourquoi pas. En pratique, ces exigences, posées trop tôt dans une filière encore embryonnaire, ont surtout servi de prétexte pour ralentir les projets et protéger les positions acquises.
Les conséquences d’un tel sur-place sont sérieusement préjudiciables. Elle ont fait fuir le géant mondial de la décarbonation depuis 10 ans. La Chine a investi 227 milliards de dollars dans l’industrie bas carbone dans le monde depuis dix ans. Et pas le moindre dollar en Algérie . Alors même qu’elle développe des partenariats dans cette filière dynamique ( composants PV, batteries, véhicules électriques, gigafactories, Hydrogène vert) , en Égypte et au Maroc.
Quand l’État-Sonatrach devient lui-même le lobby du fossile
Dans beaucoup de pays, le « lobby fossile » a un nom et une adresse : grandes majors privées, syndicats professionnels, think tanks. En Algérie, c’est plus simple – et plus difficile à contrer : le lobby, c’est l’État lui-même. L’Etat -Sonatrach au sens de sa dépendance au modele extractif classique. Les produits fossiles représentent plus de 80 % des exportations et autour de 50–60 % des recettes budgétaires selon les périodes. Les nouvelles annonces d’investissement de Sonatrach prévoient 60 milliards de dollars dans l’énergie sur 2025–2029, dont 80 % pour l’amont pétrolier et gazier, et seulement des miettes – 3,2 GW – pour les énergies renouvelables.
Ce bloc État–entreprises publiques– vit de la rente fossile et reproduit le système par la rente : salaires publics, subventions, grands travaux, contrats stratégiques. Tant que les hydrocarbures financent le pacte social, tout ce qui ressemble à une vraie transition est perçu comme une menace, pas comme une opportunité.
La question peut se poser : le développement des énergies verte est il une opportunité ou un risque au détriment d’une filière maîtrisée qui rapporte en moyenne 40 à 50 milliards de dollars par an au pays ? Il faut se connecter aux débats de la COP30 pour réaliser que cette question est obsolète. Le coût planétaire du réchauffement va progressivement faire des opinions partout dans le monde des publics anti-pollueurs. Les mentalités se décarbonnent plus vite que les États et les industriels. La transition énergétique n’est plus une option depuis longtemps en Algérie. Les recettes énergétiques se tassent, les déficits se creusent, les réserves s’érodent.
Il arrivera un moment – on y est – où la rente ne suffira plus à entretenir la fiction. Il faudra alors courir derrière une transition que d’autres auront commencée quinze ans plus tôt. Le monde aura basculé vers un mix électrique à majorité bas carbone, les chaînes de valeur auront été verrouillées par la Chine, l’Inde, l’Europe, et l’Algérie tentera de rattraper en catastrophe ce qu’elle pouvait construire à son rythme.






