L’Autorité nationale indépendante des élections (ANI) a annoncé, jeudi soir, avoir rejeté 143 dossiers de candidature pour les élections du renouvellement du Conseil national (la deuxième chambre du Parlement), invoquant des « liens avec des milieux financiers et des affaires suspects ». Ces rejets concernent près d’un quart des 629 dossiers déposés auprès de ses services répartis sur l’ensemble du territoire national.
Parmi ces dossiers rejetés, 413 émanaient de 27 partis politiques, tandis que 216 provenaient de candidats non affiliés à des partis (listes libres). Cette décision soulève des interrogations majeures sur l’efficacité des institutions chargées de lutter contre la corruption, notamment le pouvoir judiciaire, les walis, les services de sécurité, l’Autorité supérieure de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption, ainsi que le Bureau central de répression de la corruption, rattaché au ministère de la Justice.
En effet, comment expliquer que ces candidats, accusés de liens avec des milieux financiers douteux, continuent d’exercer leurs fonctions au sein des assemblées populaires locales et de wilaya, alors que leur éligibilité est remise en cause ?
Des critères d’éligibilité flous et des questions sans réponses
Pour se présenter aux élections du Conseil national, dont le mandat est de six ans, un candidat doit d’abord être élu au niveau du conseil populaire de wilaya ou du conseil communal. Or, les présidents de ces assemblées gèrent des budgets colossaux liés au développement local et à la perception des impôts, souvent estimés à plusieurs milliards.
Dans ce contexte, la question se pose : sur quelles bases ces 143 élus ont-ils été accusés de corruption ? S’agit-il de rapports de sécurité, de dossiers judiciaires, ou d’enquêtes menées par des services de renseignement ? Ou bien ces décisions relèvent-elles de simples mesures administratives, sans fondement juridique solide ? Si tel est le cas, cela pourrait remettre en cause la crédibilité de l’Autorité nationale indépendante des élections, dont le rôle n’est pas de se substituer au pouvoir judiciaire pour juger des affaires de corruption.
Si l’on suppose que ces accusations reposent sur des preuves tangibles, pourquoi ces cas n’ont-ils pas été portés devant la justice ? Les accusations de corruption, notamment celles liées à la dilapidation des deniers publics et à la collusion avec des corrupteurs, sont suffisamment graves pour justifier des poursuites judiciaires. Pourtant, ces élus continuent d’exercer leurs fonctions, ce qui laisse planer un doute sur l’efficacité des mécanismes de contrôle et de sanction.
Les partis politiques sous le feu des critiques
La déclaration de l’Autorité nationale indépendante des élections a également mis en lumière une réalité troublante. Sur les 143 dossiers rejetés, 162 concernaient des candidats affiliés à des partis politiques, notamment ceux de la majorité parlementaire, comme l’a relevé le président du parti du Rassemblement national démocratique, Abdelkader Bengrinale. Parmi eux figurent des formations politiques influentes telles que le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND) et le parti du Rassemblement national, et autres.
Cette situation soulève une question cruciale : pourquoi ces partis, organiquement et moralement responsables de leurs membres, n’ont-ils pris aucune mesure disciplinaire à l’encontre de ces candidats accusés de corruption ? Le silence des partis concernés, malgré les accusations confirmées par la justice pour un nombre significatif de ces élus, interpelle.
Dans les démocraties modernes, le respect de la loi se mesure notamment au niveau de conformité fiscale des citoyens. L’Autorité nationale indépendante des élections a d’ailleurs rejeté cinq dossiers de candidats en raison de leur situation irrégulière vis-à-vis de l’administration fiscale. Cette mesure, bien que symbolique, rappelle l’importance de la transparence dans la gestion des affaires publiques.
Malgré les efforts pour obtenir des clarifications, les délégations locales de l’Autorité nationale indépendante des élections ont refusé de commenter les dossiers des candidats ou le déroulement du processus électoral, invoquant des « instructions strictes » de ne pas communiquer avec les médias. Cette opacité nourrit les suspicions et renforce l’impression d’un manque de transparence dans la gestion des élections.
Rappelons que l’article 200 de l’Ordonnance portant Code électoral organique stipule en effet qu’un candidat ne doit pas être connu pour ses liens avec des milieux financiers corrompus ou des activités suspectes, et doit justifier de sa situation fiscale. Ces dispositions visent à garantir l’intégrité du processus électoral et à préserver la confiance des citoyens.
B. Said