Après des années de blocage judiciaire, le complexe Kotama Agrifood de Jijel s’apprête enfin à démarrer. Le ministre de l’Industrie Sifi Ghrieb a annoncé une réception « dans les prochaines semaines », mais cette promesse intervient après une série de reports : fin 2023 annoncé en octobre 2022, juin 2024 promis en mars 2024, puis mai 2025 évoqué en mars dernier.
Ce projet de trituration de graines oléagineuses illustre les dérives du système économique algérien des années 2010. Initialement porté par le groupe Nutris, propriété des frères Kouninef, hommes d’affaires proches du clan Bouteflika, il a été confisqué dans le cadre de l’opération anticorruption. Après trois ans d’arrêt total entre 2020 et 2022, les travaux n’ont repris qu’en août 2023. Avec un coût total de 42 milliards de dinars (315 millions de dollars), l’État évoque désormais « la volonté de relancer les projets confisqués ».
Reste que le défi de gestion reste immense. Madar Holding a hérité de ce dossier complexe sans expérience préalable dans l’agroalimentaire. La holding publique, créée pour gérer les actifs récupérés, mise tout sur une équipe de jeunes ingénieurs pour faire fonctionner un complexe industriel dont la valeur n’a jamais été révélée.
Les ambitions affichées restent importantes, même si elles ont été revues à la baisse. Les capacités annoncées sont impressionnantes : 5 000 tonnes de soja traitées quotidiennement, extensibles à 6 000 tonnes, avec un stockage de 100 000 tonnes pour la matière première et 36 000 tonnes pour l’huile brute. Mais ces chiffres, répétés depuis 2022, ont été revus : le complexe ne couvrirait plus que 20 à 25% des besoins en huiles végétales contre 40% initialement annoncés.
Au-delà des volumes, c’est la viabilité économique qui interroge. Le complexe transformera du soja importé, principalement d’Amérique du Sud. L’Algérie continuera donc d’importer la matière première tout en ajoutant les coûts de transformation locale. L’économie réelle de devises reste à démontrer, d’autant que les cours du soja ont flambé ces dernières années, impactant directement la rentabilité du projet de 315 millions de dollars.
Côté calendrier, l’accélération récente contraste avec la lenteur passée. Entre juin 2024 (90% d’avancement) et janvier 2025 (92%), la progression s’était ralentie avant d’atteindre 95% aujourd’hui. Les tests sur le convoyeur supérieur observés par le ministre semblent confirmer l’approche de la mise en service.
L’impact social, lui, reste modeste au regard de l’investissement. La région de Jijel mise beaucoup sur ce projet pour créer de l’emploi. Le complexe devrait générer 350 emplois directs et 1 500 indirects, des chiffres plus modestes que les 444 employés présents sur site en juin 2024 pendant la phase de construction.
Un rattrapage tardif face à la concurrence
La concurrence, elle, n’a pas attendu. Pendant que Kotama Agrifood accumule les retards, Cevital a réussi à débloquer son propre projet de trituration. Après des années de tracasseries administratives et de blocages à l’importation d’équipements depuis 2017, le groupe privé a finalement mis en service son usine de Béjaïa en mai 2023. Avec une capacité de 22 000 tonnes par jour contre 5 000 à 6 000 tonnes pour Kotama Agrifood, Cevital a pris une longueur d’avance sur un marché que les deux complexes visent.
Enfin, l’environnement concurrentiel s’annonce difficile. Cette mise en service intervient dans un contexte compliqué pour l’industrie agroalimentaire du pays. Le marché local des huiles végétales reste dominé par quelques importateurs établis, peu enclins à laisser place à un nouveau concurrent public portant un tel héritage financier et judiciaire.