Saïd Djaafer
Le pape François, l’argentin Jorge Mario Bergoglio, premier souverain pontife non européen depuis 1000 ans s’est éteint ce lundi 21 avril à 7H35, à l’âge de 88 ans. Progressiste ? Conservateur ? Réformateur ? Chacun trouvera dans le magistère du pape de quoi alimenter sa lecture. Ghaza est cependant un sérieux indicateur…
Le cardinal Kevin Farrell, le « camerlingue » du Vatican, qui a annoncé la nouvelle, a sans doute le mieux résumé le parcours et l’action de cet homme, élu pape en mars 2023 : “Il nous a appris à vivre les valeurs de l’Évangile avec fidélité, courage et amour universel, en particulier pour les plus pauvres et les plus marginalisés. ».
Sans être un adepte des théologiens de la libération, très engagés dans les luttes sociales dans les années 70, le pape François est largement marqué par ce combat pour les “plus pauvres et les plus marginalisés”. Une empreinte latino-américaine particulière dans une région où beaucoup de responsables catholiques ont soutenu et justifié les dictatures. «Aujourd’hui, nous les vieux, rions en pensant à quel point nous étions inquiets au sujet de la théologie de la libération » a déclaré le pape en 2019 dans une rencontre avec des jésuites imprimant ainsi un nouveau regard envers un mouvement engagé dans les luttes sociales et très fortement diabolisé par l’église officielle.
Cette fibre latino-américaine explique aussi sa capacité à parler, librement et avec une humanité non feinte, du calvaire, sans fin, imposé aux Palestiniens.
Un latino libre des complexes européens
Ghaza était présente dans son ultime intervention, dimanche, au balcon de la basilique Saint-Pierre de Rome, pour donner sa traditionnelle bénédiction « Urbi et Orbi » (à la ville et au monde). Il a indiqué que ses «pensées vont à la population et en particulier à la communauté chrétienne de Gaza, où le terrible conflit continue de semer la mort et la destruction et de provoquer une situation humanitaire dramatique et ignoble.”.
Alors que la solidarité avec les Palestiniens est ouvertement combattue dans de nombreux États européens et assimilée à de l’antisémitisme, le pape “latino” s’exprime librement pour dénoncer, comme en décembre dernier, la “cruauté” d’Israël dans la bande de Gaza. « Hier, des enfants ont été bombardés. C’est de la cruauté, ce n’est pas la guerre. Je tiens à le dire parce que cela me touche au cœur”. C’est aussi en latino libre qu’il a évoqué le terme de génocide, tabou chez les dirigeants européens, pour qualifier ce qui se passe à Ghaza. Dans son livre «L’espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur », il disait penser “en particulier à ceux qui quittent Gaza au milieu de la famine qui frappe leurs frères palestiniens face à la difficulté d’acheminer de la nourriture et de l’aide sur leur territoire. Selon certains experts, ce qui se passe à Gaza a les caractéristiques d’un génocide. Il doit faire l’objet d’une enquête approfondie afin de déterminer s’il correspond à la définition technique formulée par les juristes et les organismes internationaux.”.
Même si la formule est prudente, l’usage du mot génocide est remarquable. Il a suscité, sans surprise, des dénonciations d’Israël et des soutiens à son entreprise génocidaire. Chacun peut choisir de voir le conservateur ou le progressiste chez le défunt. Mais il a été indéniablement un homme de vérité, un défenseur des pauvres et des marginalisés. À défaut d’être un adepte de la théologie de la libération, il a été un pape libéré des contingences de l’histoire, par beaucoup de côtés sinistre et blafarde, de l’Europe. C’est la source de sa parole libre et humaine sur Ghaza et sur le monde.