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Derrière la caméra de “Ben M’hidi” : Entretien exclusif avec Bachir Derrais

Par Maghreb Émergent
13 mars 2024

Le cinéma algérien, trop longtemps étouffé par les contraintes, semble retrouver un second souffle. Avec la sortie très attendue de son film “Benmhidi”, le réalisateur Bachir Derrais a dû surmonter de nombreux défis pour mener à bien son ambitieux projet cinématographique. Dans cet entretien, le cinéaste revient sur les coulisses mouvementés d’une production hors norme, qui célèbre une figure emblématique de la lutte pour l’indépendance algérienne.

Après de nombreuses années jalonnées de tensions et d’incertitudes, votre film “Ben M’hidi” a finalement été projeté en grande première il y a quelques jours à Alger. Considérez-vous que cette sortie constitue une victoire pour le cinéma algérien ?

Bachir Derrais : Le cinéma algérien fait face à d’importants défis, les productions y étant rares dans le contexte actuel marqué par un conservatisme ambiant et l’influence de ceux qui se posent en gardiens autoproclamés des valeurs révolutionnaires. Chaque film qui voit le jour constitue donc une véritable prouesse. La réussite de “Benmhidi” est d’autant plus remarquable qu’elle représente une double victoire : préserver 99% de l’essence de l’œuvre malgré les pressions subies en 2018 pour en modifier 60% du contenu.

Parler d’un personnage historique comme “BenM’hidi” peut être très délicat.   Quelles ont été vos principales sources d’inspiration? Et comment avez-vous retracer les faits historiques autour de cette grande figure de la libération nationale ?

Bachir Derrais : L’élaboration d’un scénario consacré à Larbi Ben M’hidi s’est imposée à nous, alors que sa renommée en Algérie se cantonnait essentiellement aux voies urbaines baptisées de son nom, disséminées dans certaines cités nationales. Hormis Hachémi Trodi, ami d’enfance, et Khalifa Mameri, peu de figures historiques, journalistiques ou de vétérans s’étaient penchées sur son existence. L’absence d’ouvrages, d’articles ou de documentaires retraçant sa vie rendait notre entreprise particulièrement ardue.

Nous nous sommes donc attelés à la recherche de ses proches : compagnons, amis d’enfance, membres de sa famille. Notre persévérance fut récompensée par la découverte d’une dizaine de témoins. Ce sont ces individus qui ont pu éclairer de leurs souvenirs la figure de Med Larbi Ben M’hidi, nous permettant ainsi de dresser le portrait de cet homme illustre.

Le retour du public semble être très positif. Comment décririez-vous le message ou le thème central du film ?

Bachir Derrais : Les retours de la part des spectateurs ont été unanimement favorables. Ils ont perçu l’œuvre comme résolument contemporaine et avant-gardiste dans le choix de son sujet. En effet, les problématiques soulevées en 1956 demeurent irrésolues à ce jour, et l’Algérie continue de quêter un projet de société fédérateur.

On sait que le tournage et le montage du film ont rencontré plusieurs défis. Comment les avez-vous surmontés?

Bachir Derrais : Depuis sa genèse, le projet a rencontré une multitude d’obstacles. L’Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel (AARC) s’y opposait initialement, malgré les avals de commissions de lecture. Ce n’est qu’avec l’arrivée d’une nouvelle direction que l’ordre de débloquer le projet a été donné.

Le tournage a ensuite été suspendu à trois reprises sous la pression d’opposants. Malgré ces interruptions, il s’est achevé presque par miracle. En tant que porteur du projet, je l’ai perçu comme une responsabilité personnelle et filiale. Contraint de quitter l’Algérie, c’est en Tunisie que j’ai dû trouver refuge pour l’achever, échappant ainsi aux tentatives de sabotage.

Y a-t-il eu des moments particulièrement mémorables pendant la production ? 

Bachir Derrais : Lors du tournage à Bouira, un complot terroriste visant à kidnapper nos techniciens internationaux a été déjoué grâce à un figurant. Une opération militaire d’envergure a ensuite permis de neutraliser une trentaine de terroristes impliqués. Notre équipe a pu poursuivre sous la protection des forces spéciales.

Le casting de “Benmhidi” compte quelques grandes stars du cinéma algérien. Comment avez-vous procédé pour les choisir ? Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré chez les acteurs principaux ?

Bachir Derrais : Compte tenu de la complexité du sujet et de la richesse des dialogues, nous avons mené un casting à l’échelle internationale. Cette approche nous a permis de sélectionner des comédiens exceptionnels, parmi les plus talentueux. J’ai eu le privilège de collaborer avec ces artistes remarquables, dont la présence a incontestablement sublimé le projet.

Comment avez-vous recréé l’environnement des années 1940/50 ?

Bachir Derrais : La reconstitution fidèle des atmosphères des décennies 1930 à 1950 fut un défi majeur. Nous avons puisé dans les archives sonores et musicales de l’époque pour préparer les comédiens. L’ensemble a ensuite été minutieusement recréé en studio.

Quelle perspective portez-vous sur l’importance du cinéma en Algérie aujourd’hui, particulièrement au regard des thèmes abordés dans “Benmhidi” ?

Bachir Derrais : Le cinéma s’avère un vecteur essentiel pour la construction identitaire nationale. Riche d’un patrimoine historique plurimillénaire, de Massinissa à l’ère contemporaine, l’Algérie n’a pas encore pleinement exploité ce legs au sein de son industrie cinématographique en vue de renforcer la cohésion nationale. Des figures emblématiques telles que Ben M’hidi et ses compagnons ont sacrifié leur vie pour que le peuple algérien puisse vivre dans la liberté. Cependant, une représentation cinématographique fidèle de l’Algérie plurielle, multiculturelle et diverse incarnée par Ben M’hidi et Abane reste à construire pleinement. C’est un projet en devenir, une œuvre collective à édifier.

En janvier 2024, vous avez cosigné une tribune avec d’autres intellectuels, artistes et journalistes algériens appelant à la libération du journaliste Ihsane El Kadi. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous associer à cette initiative ?

Bachir Derrais : En effet, j’ai apposé ma signature à cette lettre ouverte adressée au Président de la République et réclamant la libération d’Ihsane El Kadi. Conscient de la sensibilité du pouvoir algérien aux actions initiées par la communauté internationale, j’ai estimé judicieux de privilégier une démarche rassemblant exclusivement des personnalités nationales.

Ihsane El Kadi, journaliste éminent et patriote dévoué, incarne l’esprit algérien dans toute sa noblesse. Son incarcération constitue une atteinte flagrante aux principes de justice. Je déplore l’absence de réponse du Président à notre appel.

Quels sont vos projets cinématographiques à venir ? Avez-vous déjà des idées pour votre prochain long-métrage ? Bachir Derrais : Je me consacre actuellement à l’élaboration du montage financier d’un ambitieux projet de long-métrage. Ce film épique entend retracer le destin d’une famille algérienne, une fresque historique couvrant la période de l’après-indépendance jusqu’à nos jours.

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