C’est la scène de la semaine. Des Algériens qui se bousculent et se battent dans un rush pour s’inscrire sur les listes de commande de la Doblo, l’utilitaire de chez Fiat Algérie. L’économie algérienne est malade de l’automobile. La cause ? Une pénurie organisée ou incidente du véhicule neuf.
Pour un parc roulant d’environ 8 millions de véhicules, la moyenne naturelle du renouvellement avoisine les 400 000 véhicules par an. Le nombre des nouvelles immatriculations a creusé année après année un gap dans le renouvellement du parc roulant… jusqu’aux images dégradantes de cette semaine. La crise pourrait bien se poursuivre encore bien longtemps.
La pénurie d’automobile est le syndrome politique de cette décennie. En voulant changer de modèle d’approvisionnement du marché national en véhicules, le ministre de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb, a ouvert à partir de 2015 la plus grande filière de fraude à l’importation. L’assemblage automobile est devenu synonyme d’arnaque à la sur-déclaration de la valeur des kits importés. Le symbole même de la corruption de la fin de l’ère Bouteflika révoqué par le Hirak. Six années après la chute de son régime, le secteur ne s’est toujours pas relevé de cet épisode.
Deux anciens premiers ministres sont en détention en partie pour des accusations portant sur les facilités accordées aux acteurs de la filière. Parmi ceux-ci, six au moins, sont passés par la case prison ou s’y trouvent toujours. Entre Hyundai, Sovac, Kia, Ival, il s’agit des plus grands concessionnaires de la période Sellal-Bouchouareb. Sans parler des trois ministres de l’Industrie incarcérés, toujours à cause de l’automobile.
Le ministre concepteur-parrain de « l’industrialisation » en Algérie de la filière automobile, lui, est toujours en fuite. Le rétablissement de l’importation en l’État des véhicules en 2023, a réussi à peine à couvrir les « stop and go » des projets réputés les plus stables du montage en partenariat : Renault puis Fiat. Le retour à l’importation par les particuliers des voitures d’occasion de moins de trois ans a irrigué à la marge un flux tari de nouvelles immatriculations en 2024.
La pénurie du véhicule neuf est donc une trappe politique. Aucune autorité n’arrive à faire dépasser aux acteurs de la place le syndrome Sellal-Bouchouareb. Les ministres de l’Industrie successifs ont, soit procrastiné pour ne pas signer un nouveau cahier des charges pour rétablir l’approvisionnement, soit bloquer les flux importés pour diverses raisons. La volonté politique de plafonner à 2,5 milliards de dollars la facture des importations de véhicules n’explique pas à elle seule la persistance de la crise. Même cet objectif malthusien n’est pas atteint.
La peur domine toujours les décisions dans ce secteur ; réglementation, validations, agréments, domiciliations bancaires, contingentements, tout est perçu comme enjeu « dangereusement » judiciaire dédié au pôle économique du tribunal de Sidi M’hamed. 400 000 nouvelles immatriculations par an pour rééquilibrer le marché, rajeunir l’âge moyen des véhicules et réduire la pression sur l’utilitaire n’est pas sur les tablettes du gouvernement.
La priorité est à l’intégration industrielle de la filière ? Le bilan de ce côté-là est encore plus affligeant. Renault Algérie est à l’arrêt et le développement de FIAT parait erratique, pour ne pas dire capricieux. Et ce n’est pas la signature de quelques contrats de Stellantis et de Renault avec des sous-traitants nationaux lors du récent salon de l’équipement automobile qui atténuera le sentiment que le modèle ne décolle toujours pas. Le pari technologique sur le véhicule électrique est entre parenthèses.
L’implantation annoncée d’une grande usine du Chinois BYD pour produire des batteries au lithium se fait attendre. De quelle taille de marché automobile optimal a besoin un pays d’environ 50 millions d’habitants pour soutenir son activité logistique, prendre en charge la mobilité de sa ressource humaine et développer le temps libre ? L’Algérie, avec ses 8 millions de véhicules, est dans la fourchette basse parmi 5 pays comparables.

La courbe comparative avec l’évolution du parc roulant de la Pologne le démontre de manière spectaculaire. L’Algérie s’est quasiment arrêtée de s’équiper en automobile au moment où la Pologne a combiné importation et production de voitures pour l’exportation à grande échelle. À l’abri du marché européen intégré certes, et pas avec deux taux de change, l’un officiel, l’autre parallèle, qui saborde tout investissement.
