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Des côtes d’Oran à la porte de l’Espagne… ainsi, les rêves se transforment en affaires entre les mains de la “mafia”

Par Said Boudour
29 août 2025

Sur les plages d’Aïn El-Turck, à l’est d’Oran, on n’entend que le fracas des vagues. Mais derrière ce bruit se cachent les cris étouffés de jeunes qui rêvent de traverser vers l’Europe. Là, dans les points de départ secrets, les places sur les “bateaux de la mort” se vendent comme des marchandises au marché noir.

Des traversées semées de mort, et des réseaux organisés qui transforment la souffrance en commerce lucratif.

Cette enquête révèle de l’intérieur des détails précis sur le mode opératoire de ces réseaux, leurs tarifs, et les prix exorbitants que paient des jeunes Algériens et des étrangers pour un rêve qui peut s’achever au milieu de la Méditerranée.

Farid… un jeune qui a vendu sa vie pour acheter le rêve de sa famille

« Camacho », c’est ainsi que ses amis appellent Farid, un jeune au début de sa vie, devenu depuis la mort de son père le seul soutien de sa mère et de sa petite sœur.

Il n’avait d’autre choix que de plonger dans l’économie informelle : vente de vêtements sur les trottoirs, gardiennage de parkings, transport clandestin. Prêt à faire tout ce que la loi interdit.

Tout cela dans un seul but : réunir 150 millions de centimes (environ 7 000 euros), le prix imposé par un réseau de passeurs pour l’émigration clandestine.

Sa mère lui a proposé sa parure en or pour couvrir la somme, mais il a refusé, préservant sa dignité, et affirmant que son objectif n’était pas une aventure personnelle, mais sauver sa famille de la pauvreté et de la privation.

D’Aïn El-Turck à l’Europe… le tarif de la mort commence à 40 millions

Les réseaux de passeurs parlent de migration en chiffres. Le prix varie entre 40 et 190 millions de centimes (2 200 à 8 000 euros), selon le type d’embarcation et la puissance du moteur.

Les petites barques équipées de moteurs de 40 chevaux prennent deux jours en mer, finissant souvent par des disparitions.

Les rapides « fantômes », dotés de moteurs de 900 chevaux, ne mettent qu’une heure et demie pour traverser, mais le tarif double et les risques s’accentuent.

À cela s’ajoutent le moment du départ, l’état de la mer, et même la « réputation » du chef de réseau, autant d’éléments qui font monter ou baisser la valeur d’une place.

Avec un simple calcul, un seul voyage sur une embarcation rapide (40 à 55 places) rapporte environ 4 milliards de centimes, soit 200 000 euros pour une seule traversée.

Ces réseaux peuvent organiser plus de deux voyages par nuit.

Femmes et enfants… aucun privilège sur le bateau de la mort

Le plus choquant, c’est que femmes et enfants ne bénéficient d’aucun traitement particulier. Le tarif d’une femme est le même que celui d’un homme, et l’enfant est compté comme un adulte.

La justification : le passage de mineurs augmente les risques de l’opération, donc aucune réduction possible. Dans la logique de ces trafiquants, chaque siège est une marchandise qui s’achète et se vend sans considération de sexe ni d’âge.

Les étrangers à bord : tarif doublé et destin incertain

Les étrangers paient beaucoup plus cher que les Algériens. Pour les Syriens, la place peut atteindre 300 millions de centimes, soit environ 14 000 euros.

Les passeurs justifient ce prix par la complexité de leur situation légale, mais aussi par les soupçons sécuritaires qui pèsent sur certains en raison de liaisons suspectes ou de demandes d’arrestation internationales.

Quant aux Marocains, leur tarif varie entre 200 et 220 millions de centimes (près de 9 000 euros), et cela s’explique par la violence des autorités marocaines qui tirent parfois sur les embarcations de migrants, ce qui accroît le danger et justifie le coût élevé.

La mer… dernier juge

Dans tous les cas, la mer reste l’arbitre final. Certains voyages rapides ont réussi et atteint les côtes espagnoles en moins de deux heures, mais d’autres embarcations ont été englouties par la Méditerranée, sans que l’on retrouve leurs passagers.

Chaque traversée est une loterie : certains arrivent, rêvant déjà de continuer vers la France ou la Belgique, d’autres disparaissent dans les vagues. La mer, dans cette histoire, n’est rien d’autre qu’un cimetière à ciel ouvert.

Ce qui est caché est plus grand encore…

Ce que nous avons révélé dans cette enquête n’est qu’une partie de l’image.

Tarifs variables, réseaux organisés, souffrances humaines dont le prix est payé par les familles avant les individus, et profits faramineux qui remplissent les poches des passeurs.

Mais derrière ces faits se cachent des noms influents, des réseaux transfrontaliers, et des intérêts bien plus grands qu’il n’y paraît.

Ce que nous avons présenté ici n’est que le premier chapitre d’un dossier d’investigation ouvert. La suite révélera bien plus grave encore.

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