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Dinar algérien : « le double marché contredit la loi », alerte Bessaha

Par Lynda NACER 18 décembre 2025
Abderahmi Bessaha, Expert international en macro-économie.

En 2023, le législateur a tranché. L’Algérie doit fonctionner avec un seul taux de change, fixé sur un marché interbancaire encadré. Pourtant, fin 2025, l’euro s’échange toujours autour de 280-282 dinars au square, contre 151 dinars au taux officiel. Pour Abderahmi Bessaha, cette situation n’est pas seulement une aberration économique, c’est une entorse directe au droit.

L’article 145 de la loi monétaire et bancaire de 2023 consacre le principe d’un marché de changes unifié, organisé autour d’un marché interbancaire supervisé, où l’offre et la demande déterminent un taux unique de référence. “L’unification du marché des changes ne constitue pas seulement une nécessité économique, c’est une obligation juridique inscrite dans la loi monétaire et bancaire de 2023”, rappelle l’économiste. En d’autres termes, le double marché n’est pas seulement dysfonctionnel, il est désormais en contradiction formelle avec le cadre légal que le pays s’est donné.

Dans la réalité, c’est pourtant un marché parallèle de près de 25 milliards de dollars, soit 9,5% du PIB selon la Banque mondiale, qui domine la formation du prix de la devise. “Le marché parallèle des changes constitue désormais le centre de gravité de l’économie réelle et financière”, souligne Bessaha, au point que “le taux officiel ne joue plus son rôle d’ancrage nominal”. Le droit écrit exige un taux unique, mais le droit réel est dicté par le square. C’est le cours parallèle qui structure les prix, les anticipations et les arbitrages.

Pour l’économiste, cette discordance crée un véritable angle mort institutionnel. “Ce cadre normatif impose un impératif institutionnel aux autorités”, écrit-il. Soit l’obligation d’unifier et de moderniser le marché des changes est mise en œuvre, soit la loi monétaire est dévaluée à son tour, réduite à une déclaration d’intention sans effet. “La mise en œuvre d’un régime de change unifié n’est pas une option parmi d’autres, mais une exigence légale qui conditionne la crédibilité du système financier et la cohérence des politiques publiques.”

Un risque systémique en quatre dimensions

Cette contradiction entre la loi et la pratique n’est pas neutre. Bessaha parle d’un « risque systémique en quatre dimensions » qui dépasse largement le simple débat technique sur le taux de change.

Première dimension, “la perte de l’ancrage nominal”. En déterminant les prix des biens importés et importables, le taux parallèle neutralise la capacité de la politique monétaire à stabiliser les anticipations. Les annonces officielles ne sont plus crues, les agents se réfèrent au square.

Deuxième dimension, “l’opacité de la balance des paiements”. La coexistence d’un marché officiel et d’un vaste marché informel fragmente les flux de devises, multiplie les sorties non déclarées et les manipulations de prix. Les statistiques externes deviennent incomplètes, ce qui “limite la visibilité sur la position extérieure du pays et complique la gestion macroéconomique”.

Troisième dimension, “les distorsions dans l’allocation des ressources”. L’accès administré à la devise devient une rente, qui encourage l’arbitrage entre marchés plutôt que l’investissement productif. “L’accès administré à la devise devient une rente, incitant les acteurs à privilégier l’arbitrage entre marchés plutôt que la production ou la diversification”, note Bessaha.

Quatrième dimension, enfin, “la fragilisation des bilans bancaires”. La défiance envers le dinar et la dollarisation avancée de l’épargne, près de 40% de l’épargne informelle en devises, affaiblissent la base de dépôt en monnaie nationale et exposent les banques à des chocs de change. “La dollarisation croissante fragilise les bilans bancaires”, prévient l’économiste.

Tant que le pays tolère un marché parallèle dominant alors même que la loi exige un taux unique, il entretient une aberration juridique qui amplifie les vulnérabilités financières. “L’hégémonie du taux parallèle impose des coûts macroéconomiques et sociaux considérables. Elle fragilise la stabilité financière, détourne des ressources, réduit le potentiel de croissance et accroît les vulnérabilités structurelles”, résume Bessaha.

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