Cinq pays seulement – l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Algérie, le Nigeria et l’Éthiopie – concentrent la moitié des 2800 milliards de dollars du PIB continental. L’autre moitié se répartit entre 48 autres nations, créant un fossé économique qui questionne l’avenir du développement africain.
Selon les chiffres du Fonds monétaire international, l’Algérie occupe la troisième marche de ce podium avec 266,7 milliards de dollars, derrière l’Afrique du Sud (373,2 milliards) et l’Égypte (347,6 milliards). Le Nigeria suit avec 252,7 milliards, tandis que l’Éthiopie ferme ce groupe avec 205,1 milliards. Ces cinq économies génèrent ensemble 1400 milliards de dollars tout en abritant 569 millions d’habitants, soit 44% de la population continentale.
Pays | PIB nominal 2025 (milliards de dollars) |
---|---|
Afrique du Sud | 373,2 |
Égypte | 347,6 |
Algérie | 268,9 |
Nigeria | 252,7 |
Éthiopie | 100,0 |
Une concentration qui marginalise le reste du continent
Cette répartition révèle l’ampleur des disparités économiques africaines. Alors que cinq nations produisent autant de richesse que les 48 autres réunies, la question de l’équité continentale se pose avec acuité. Les pays les plus petits, privés de masse critique économique, peinent à développer des secteurs industriels compétitifs ou à attirer des investissements significatifs.
Le contraste frappe particulièrement quand on analyse la productivité par habitant. Les cinq géants économiques, avec moins de la moitié de la population continentale, génèrent 50% du PIB africain. Cette disproportion condamne des millions d’Africains à évoluer dans des systèmes économiques structurellement défavorisés, limitant leurs perspectives de développement.
Cette fragmentation économique entrave les projets d’intégration continentale. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) se heurte à cette réalité : comment intégrer des nations aux capacités si inégales ? Les échanges commerciaux intracontinentaux restent marginaux, chaque géant privilégiant ses relations avec les marchés extérieurs.
Des modèles économiques qui tournent le dos à l’Afrique
L’orientation extravertie de ces cinq économies dominantes accentue l’isolement des autres nations africaines. L’Algérie, forte de ses ressources énergétiques, exporte massivement vers l’Europe et l’Asie mais commerce peu avec ses voisins africains. Cette stratégie caractérise également le Nigeria, l’Égypte et l’Afrique du Sud.
Chaque géant économique a développé son propre modèle de croissance basé sur ses avantages comparatifs naturels. L’Algérie et le Nigeria misent sur leurs hydrocarbures, l’Égypte tire parti du canal de Suez et du tourisme, l’Afrique du Sud exploite ses mines et son secteur financier, tandis que l’Éthiopie s’appuie sur son agriculture, notamment la production de café.
Cette spécialisation sectorielle, si elle permet une croissance rapide, expose ces économies aux chocs externes. La pandémie de Covid-19 a paralysé le tourisme égyptien, les tensions géopolitiques perturbent les cours énergétiques dont dépendent Alger et Abuja, tandis que l’Éthiopie reste vulnérable aux aléas climatiques.
Seule l’Éthiopie développe progressivement ses liens économiques régionaux avec ses voisins de la Corne de l’Afrique, esquissant une approche différente de l’intégration continentale.
La vulnérabilité des géants et la fragilité des petits
Cette concentration économique crée un cercle vicieux pour les économies les plus faibles. Privées de l’effet d’entraînement des géants régionaux, elles accumulent les retards structurels en matière d’infrastructures, d’éducation et de capacités industrielles. Par exemple, dans des pays comme le Tchad ou le Niger, moins de 10 % de la population rurale a accès à l’électricité, selon un rapport de la Banque mondiale de 2023, et le taux d’achèvement de l’enseignement secondaire dépasse à peine 30 % dans de nombreux États d’Afrique subsaharienne. Leur marginalisation les cantonne souvent au rôle de fournisseurs de matières premières brutes : au Burkina Faso, 80 % des exportations sont des produits primaires, principalement de l’or et du coton.
Les conséquences dépassent le cadre purement économique. Ces inégalités croissantes alimentent les tensions régionales et compromettent la stabilité politique du continent. Selon l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), l’Afrique a connu 12 coups d’État ou tentatives de coup d’État entre 2021 et 2023, principalement dans des pays à faible revenu. L’Union africaine doit composer avec cette réalité : les cinq puissances économiques disposent d’un poids politique proportionnel à leur richesse, reléguant les autres nations au second plan.
Paradoxalement, cette domination économique expose l’ensemble du continent à une double vulnérabilité. D’un côté, les géants restent structurellement fragiles : le Nigeria, malgré un PIB de 252,7 milliards de dollars (FMI, 2024), a vu son économie entrer en récession en 2016 et reste dépendant du pétrole pour 80 % de ses recettes d’exportation. L’Afrique du Sud, première économie du continent, affiche un taux de chômage record de 32,9 % au premier trimestre 2024. D’un autre côté, les 48 autres économies subissent les chocs externes sans disposer des ressources nécessaires pour s’adapter : le choc des prix alimentaires de 2022 a fait grimper l’inflation à plus de 10 % dans des pays comme le Ghana ou le Malawi, alors que leurs réserves budgétaires sont limitées.
Face à cette fracture économique continentale, des solutions émergent pour réduire les écarts entre géants et économies oubliées. La Banque africaine de développement s’impose comme un acteur déterminant dans cette transformation. Ses assemblées annuelles 2025 ont d’ailleurs placé la mobilisation du capital africain au centre des débats, visant une transformation plus inclusive et résiliante du continent.
La stratégie décennale 2024-2033 de la BAD vise précisément à transformer cette concentration économique problématique en levier d’intégration continentale. En soutenant activement la ZLECAF tout en renforçant les capacités des pays les plus faibles, elle esquisse une voie pour que les géants économiques deviennent enfin des moteurs de développement pour l’ensemble du continent, plutôt que des acteurs isolés dans leurs propres sphères d’influence.