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Algérie

Gouvernance économique : l’allocation touristique, l’autre révélateur BRICS

Par Lyas Amara 20 décembre 2025

Les Algériens ont vécu comme une humiliation la non-cooptation de leur pays au mouvement BRICS en 2023 après qu’une communication, notamment présidentielle, ait laissé penser qu’elle était quasi acquise. Le mal était symbolique. Une altération d’image et de statut. Blessure narcissique sans incidence directe sur leur vie de tous les jours.  Il en va tout autrement de la déconfiture de l’allocation touristique. Un ajustement attendu des Algériens depuis longtemps tant la dépréciation du dinar face aux devises étrangères a réduit cette allocation à une portion congrue, 98 euros si nous étions restés sur les 15 000 dinars. L’allocation touristique à 750 euros l’année vient de collapser cette semaine. Dans un fracas assourdissant ou des dizaines de milliers d’Algériens sont présentés comme des malfrats par un ministre aux allures de procureur général. La nouvelle salve de restrictions de la banque d’Algérie pour l’obtention des 750 euros de l’allocation touristique a fait sortir brutalement des millions d’Algériens de leurs BRICS mental. Ils ne sont plus éligibles à rejoindre le club des voyageurs émargeant au dinar officiel. Leur colère fait des vagues sur les réseaux sociaux. Cette chronique empathique propose de la relativiser en analysant le mécanisme qui produit de tels échecs traumatisants.  

En souvenir de Hamid « la science »

La gouvernance économique algérienne est devenue outrageusement erratique. Rien qu’en 2025, la liste des décisions prises dans le feu de l’action impressionne : importation d’un million de moutons face à la sécheresse, importation de 10 000 bus après un accident dramatique, programme prévisionnel d’importation (PPI) obligatoire après une baisse des réserves de change, importation de 2 millions de pneus face à une grave pénurie, limitation drastique de l’attribution de l’allocation touristique après un pic de sortie de devises à ce chapitre. Et il ne s’agit là que des décisions les plus visibles. Trait commun, elles répondent toutes ou presque à la volonté de préserver les réserves de change… jusqu’aux limites du parapet du pont d’El harrach. Lorsque les économies de devises débordent vers l’insoutenable, le dinar officiel convertible est appelé à la rescousse. Autrement, il doit rester protégé pour ne pas dégrader les variables de comptabilité nationale qui doivent magnifier « l’Algérie nouvelle ». Cet entêtement anti-réforme  est mortel. C’est celui de feu Abdelhamid Brahimi, dit Hamid la science, lors de la séquence 1986-1988, celle ou le modèle des années Boumediene insuffisamment réformé, souffrait de l’effondrement des revenus énergétiques. Il a conduit au 05 octobre en 1988, puis, par longue onde, à la cessation de paiement en 1994.

L’intrusion ravageuse du dinar parallèle

Une différence notable toutefois subsiste avec la séquence critique des années 80. Un débat économique prenait alors place dans l’espace public et médiatique – avant même les libertés obtenues dans la constitution de février 1989. Les alternatives – réformes de marché (Mouloud Hamrouche) ou retour a l’industrialisation volontariste ( Belaid Abdeslam) s’exprimaient – sous le parti unique finissant – avant d’être en charge des affaires plus tard. Rien de tout cela aujourd’hui.  Des invitations à lancer le débat et à agir se faufilent sous la chape de plomb. Un excellent macro-économiste à la retraite du FMI, Abderahmi Bessaha s’échine depuis des mois à expliquer les risques du statu quo, les fragilités d’une croissance faible portée par la dépense publique et les préjudices d’un double taux d’intérêt. L’une de ces dernières contributions explique avec beaucoup de conviction que « le taux parallèle du dinar structure la plupart des décisions économiques ». Les autorités ont allégé la charge sur le dinar officiel sans réfléchir à conséquence. Elles ont poussé l’approvisionnement d’une partie de l’économie à passer par la filière «  cabas » : légalisation de la micro-importation, marché de l’automobile et de la pièce détachées, etc. La pression sur le dinar parallèle a provoqué un accès de faiblesse qui rapproche aujourd’hui dangereusement de 100%  l’écart entre les deux taux. Et cela a une incidence sur tous les acteurs ; ménages face à leur épargne, investisseurs nationaux et étrangers devant leurs arbitrages, institutionnels face à l’inflation importée via le dinar parallèle. On aurait pu espérer que le lancement, après un mauvais feuilleton de six mois, de la nouvelle allocation touristique, allait soulager le dinar parallèle. C’était compter sans le PPI au deuxième semestre. Les évincés du dinar officiel arrivent par containers entiers sur l’importation via les devises « privés ». L’interdiction – en fait son rappel – de l’importation par flotte des automobiles n’a pas stoppé le dévissage du dinar au square.

Tout était pourtant prévisible

Il fallait sans doute regarder du côté de la parité officiel du dinar de la banque d’Algérie avant de devoir retirer l’allocation touristique à des millions d’Algériens. L’aubaine qu’elle offre à ceux qui en bénéficient – écart de valeur plus de 80% avec les devises achetées sur le marché noir-ne pouvait pas ne pas inspirer des stratégies économiques des ménages algériens.  Des citoyens bénéficiaires de l’allocation qui reviennent au pays au bout de 5 au lieu de 7 jours ne sont pas des voyous.  Il n’y a pas de quoi traiter leur infraction au règlement comme les délits de la sous-déclaration douanière qui a fondé la délinquance d’État des années Bouteflika, et dont le moteur était déjà à l’époque un différentiel de 50% entre les deux taux. Nous sommes aujourd’hui dans une situation absurde ou même l’ancienne allocation de moins de 100 euros est perdue pour une grande partie des citoyens qui pouvaient en bénéficier une fois l’an sans conditionnalités auparavant. Tout comme pour la communication sur le PIB à 400 milliards de dollars ou les exportations hors hydrocarbures à 13 Milliards de dollars, les annonces et les décisions non maturées ont un coût en image et en crédibilité pour le pays. Le bon sens aujourd’hui serait d’admettre les vraies contraintes sur la balance des paiements pour ce qu’elles sont : des contraintes structurelles qui doivent être traitées à la racine. Dans un processus d’intégration des compétences et des expertises. Dans un débat national qui doit stopper les ravages des décisions erratiques.

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