Le groupe de travail sur la détention arbitraire auprès du haut conseil des droits de l’homme des nations unis (HCDH -ONU) a transmis au gouvernement algérien un avis daté du 31 mars 2025 par lequel, il l’informe, suite à ses délibérations de novembre 2024, que ma détention était arbitraire. La formule utilisée dans l’avis est sans équivoque : « alinéa 68 – la privation de liberté d’Ihsane El kadi était arbitraire en ce qu’elle était contraire aux articles 2,3,7, 9 10 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux articles 2,9, 14 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et releve des catégories I, II, III, et V » dans la suite du dispositif le groupe de travail du HCDH de l’ONU « estime – alinéa 70 – que compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, la mesure appropriée à accorder à M El Kadi le droit d’obtenir réparation… ».
Dans l’alinéa suivant, « le comité demande instamment au gouvernement de veiller à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de M El kadi et de prendre les mesures qui s’imposent… ».
Cet avis émanant de la communauté internationale légitime, l’ONU, est une victoire importante et une première réparation morale. Je la dédie aux centaines de détenus arbitraires en Algérie, la plus grande partie d’entre eux, comme pour mon cas, pour leur position ou leur expression citoyenne critique dans la continuité des revendications politiques du Hirak populaire. Je veux ensuite saluer une nouvelle fois le formidable élan de solidarité dont j’ai eu la chance de bénéficier et qui m’a sans aucun doute épargné un sort encore plus pénible.
Je saisis cette heureuse opportunité pour remercier à nouveau du fond du cœur tous celles et ceux qui ont contribué à écourter cette détention arbitraire, des prix Nobel reconnu mondialement aux dizaines de milliers de citoyens signataires des pétitions de soutien, en passant par les intellectuels, les artistes, personnalités publiques, militants historiques, professionnels des médias en Algérie et dans le monde. Sans oublier l’engagement exceptionnel du collectif des avocats du Hirak.
Reporter Sans Frontières (RSF) a, en défenseur de la liberté de la presse dans le monde, joué un rôle considérable dans cette campagne, jusque et y compris en documentant, avec pertinence et persévérance, près du groupe de travail onusien, le dossier qui a amené cet avis exemplaire. Cette victoire symbolique est d’abord celle de RSF et je lui exprime ici toute ma gratitude.
Cet avis des experts de l’ONU fera date. Il rétablit les faits. J’ai été arrêté au terme d’un harcèlement ininterrompu, pour faire taire Radio M et son travail professionnel entamé en 2013 et devenue incompatible avec « l’Algérie nouvelle ». Avant la date de mon arrestation, j’étais condamné déjà à six mois de prison ferme pour un article de presse. J’avais été interpellé dans la rue deux fois en 2020 puis en 2021 par la DGSI et retenu au total 35 heures dans ses locaux. J’avais été l’objet de poursuites en 2022 dans deux autres affaires et accusé par la gendarmerie nationale de Tizi-Ouzou, et la division de la DGSN d’Alger-centre, de « complicité de terrorisme ».
Les deux juges d’instruction de Larba Nait Irathen et de Sidi M’hamed ont abandonné les poursuites engagées par le parquet. En décembre 2022, il a fallu quatre jours de garde à vue avant que les services de la DGSI , sous tutelle de la présidence de la république, ne me précisent ce qu’il avait à me reprocher. En fait, des avances en numéraire, totalisant moins de 7 millions de dinars, de quelques-uns parmi les 30 actionnaires de notre Société par actions (SPA). Le listing de ces avances, ordinaires dans la relation de tout actionnaire avec son entreprise, a été trouvé dans les documents de gestion de l’entreprise saisis lors de la perquisition qui a suivi mon arrestation. Auparavant, ceux qui m’ont arrêté ne savaient pas de quoi ils allaient m’accuser. Ils exécutaient un ordre.
Si les officiers de police judiciaire semblent hiérarchiquement contraints d’appliquer les ordres de leur hiérarchie politique, les juges, par contre, sont protégés par la constitution pour n’obéir qu’à la loi. Il n’y avait rien dans mon dossier, dans la forme de sa conduite comme dans sur le fond qui justifiait une incarcération.
L’avis de Haute Commission des Droits des Nations Unis est un rappel à l’ordre pour la justice algérienne qui a abandonné ses prérogatives constitutionnelles au service de la répression politique indiscriminée. Un juge d’instruction a signé mon mandat de dépôt et validé toutes les infractions au code de procédure pénal qui ont entaché mon interpellation et préparé un procès inéquitable. Il a, comme ses collègues de la chambre d’accusation, du tribunal de première instance, de la cour d’Alger et de la cour suprême, contribué, par son renoncement à exercer sa mission, à exposer l’Algérie à cette condamnation symbolique pour détention arbitraire d’un de ses citoyens.
J’exprime ici le vœu que cet avis de la commission onusienne de Genève, peu glorifiant pour la réputation de notre pays, éveille les consciences dans tous les rouages des institutions de pouvoir dans notre pays. Rien ne justifie de piétiner la constitution et les lois qui lui sont conformes. Le préjudice moral qui en découle sur le temps est toujours supérieur à l’avantage immédiat que l’on pense en tirer. Ihsane El Kadi directeur pôle éditorial Maghreb Émergent, Radio M à Interface Médias SPA.
Ce préjudice moral peut paraître négligeable dans le monde des nouveaux génocidaires en Palestine. Il ne change rien à notre éternelle soif de justice.