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Entretien exclusif avec Nadra, l’âme de Dar Sanasa à Timimoun

Par Mohammed Iouanoughene
17 juillet 2025

Sous la lumière cuivrée de Timimoun, le désert semble suspendre le temps. Au seuil de Dar Sanasa, une femme reçoit avec une chaleur rare. Native de Constantine, formée à Alger, aventurière du monde, Nadra (c’est ainsi qu’elle préfère se nommer) a tout quitté pour s’enraciner au cœur du Gourara, dans un lieu qui incarne à la fois un rêve personnel et un projet de société.

Nadra refuse même de se faire photographier. Elle nous a accordé cet entretien pour partager avec nous sa passion.

M.E : Nadra, votre histoire commence loin du désert. Qu’est-ce qui vous a menée à Timimoun ?
Nadra : Je suis née à Constantine. C’est une ville de caractère, de mémoire, de beauté aussi. Après le bac, j’ai étudié l’anglais à l’Université d’Alger, avec déjà en tête l’envie de partir, de découvrir le monde. J’ai ensuite posé mes valises à Paris, où j’ai travaillé plusieurs années dans l’hôtellerie. Une expérience fondatrice : j’y ai appris la rigueur, le sens du détail, mais aussi l’importance du rapport humain dans l’accueil.

M.E : Et le voyage vous a rattrapée ?
Nadra : Je dirais plutôt qu’il m’a construite. J’ai eu cette chance incroyable de faire quatre fois le tour du monde. Chaque escale m’a enrichie. Mais plus je voyageais, plus je réalisais que ce que je cherchais se trouvait chez moi. Nulle part je n’ai ressenti cette densité émotionnelle, cette spiritualité discrète mais profonde que l’on retrouve en Algérie. Le voyage m’a appris à revenir.

M.E : Pourquoi Timimoun, justement ?
Nadra : J’ai parcouru tout le pays, du Nord au Sud. Mais ici, j’ai ressenti une forme de paix, une énergie presque sacrée. Le désert m’a parlé. Et les gens aussi : d’une humanité rare. Quand je suis arrivée avec ce projet un peu fou, ils ne m’ont pas regardée comme une étrangère. Ils ont été curieux, bienveillants. Ils m’ont ouvert les bras. On me dit souvent : « C’est Timimoun qui t’a choisie. » Et je le crois profondément.

M.E : Concrètement, comment est né Dar Sanasa ?
Nadra : En 2015, j’ai trouvé un terrain nu. Un endroit vierge, en plein désert. Je l’ai acheté à plus d’1,5 milliard de centimes. Je n’avais pas de subvention, pas de partenaire, juste mon envie, mon expérience, et une vision très précise de ce que je voulais créer. Les travaux ont démarré rapidement. Ce fut une aventure complexe, parfois décourageante, mais passionnante. En 2019, Dar Sanasa était prête à ouvrir, puis la pandémie est arrivée. J’ai dû tout suspendre jusqu’en 2022.

M.E : Qu’offre ce lieu de si particulier aux visiteurs ?
Nadra : Ici, on ne vient pas juste pour dormir. On vient vivre une immersion. Dar Sanasa, c’est un retour à l’essentiel. J’ai voulu un lieu qui raconte la culture du Gourara, qui célèbre les savoirs anciens, les recettes oubliées, les veillées autour du feu. Les chambres sont intimistes, ouvertes sur une grande cour centrale, et surtout sur les oasis. Le matin, on se réveille avec la lumière dorée du désert. Le soir, on écoute le silence, ou les histoires des anciens. C’est une expérience sensorielle et spirituelle.

M.E : Quel est votre public ?
Nadra : Des voyageurs de tous horizons. Beaucoup d’Européens, mais aussi des Algériens curieux de découvrir leur Sud autrement. Ce sont souvent des gens en quête de sens, de lenteur, d’humanité. Certains viennent seuls, d’autres en couple, en famille. Beaucoup repartent transformés. Le désert fait ça. Il apaise, il enseigne.

M.E : Monter un tel projet dans une région comme Timimoun a dû être semé d’embûches…
Nadra : Évidemment. Il y a les défis logistiques, comme l’acheminement des matériaux ou l’accès difficile à la main-d’œuvre qualifiée. Construire une piscine, par exemple, a été impossible jusqu’ici, faute de compétences disponibles. Et puis il y a les coûts du transport. Les billets d’avion pour Timimoun restent excessivement chers. Cela freine le tourisme local comme étranger. J’ai vu des clients enthousiasmés annuler à cause de cela.

M.E : Et sur le plan administratif ?
Nadra : Là aussi, c’est compliqué. Depuis 2019, le texte de loi qui encadrait les maisons d’hôtes a été supprimé. Résultat : nous sommes dans une zone grise. Officiellement, Dar Sanasa est classée comme un simple dortoir, ce qui bride notre développement. Lors du dernier Salon du tourisme, j’ai interpellé la Ministre. Elle m’a encouragée à continuer, en attendant un nouveau cadre juridique. Mais on ne peut pas bâtir un secteur solide sans une base légale claire.

M.E : Malgré tout, vous avez ouvert la voie à d’autres.
Nadra : L’investissement global avoisine les 4 milliards de centimes. Ce n’est pas rien. Mais aujourd’hui, je vois des Algériens, notamment de la diaspora, venir à Timimoun avec des idées, des projets. Le mouvement s’enclenche. L’accès au foncier se libère. C’est une immense fierté de voir que mon aventure peut inspirer, surtout en tant que femme seule, sans réseau politique ni appui financier. Cela prouve qu’avec de la volonté, on peut faire exister ses rêves, même dans le désert.

M.E : Quels changements souhaiteriez-vous voir pour encourager l’essor de ce tourisme saharien ?
Nadra : Il faut d’abord une volonté politique forte. Valoriser le Sahara, ce n’est pas juste construire des hôtels. C’est former les jeunes aux métiers de l’accueil, faciliter les procédures administratives, améliorer la desserte aérienne, créer un environnement propice. L’Algérie regorge de richesses, mais elles sont souvent sous-estimées. Le désert n’est pas un vide. C’est une école de vie, une opportunité économique, une source de fierté.

M.E : Un mot pour celles et ceux qui rêveraient de faire comme vous ?
Nadra : Il faut aimer profondément ce pays, et s’armer de patience. Le chemin n’est pas facile. Mais la récompense est immense. Quand les gens de Timimoun me disent : « Tu as fait de ce lieu ta maison, mais aussi la nôtre », je ressens une joie profonde. Dar Sanasa, ce n’est pas qu’un projet d’hébergement. C’est un projet de vie. Une réponse à une quête. Une déclaration d’amour au Sahara, à ses lumières, à ses silences, à sa vérité.

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