C’est la fin d’un feuilleton diplomatico-judiciaire qui aura mis en lumière les ramifications internationales de la lutte anticorruption menée par Alger. Le quotidien espagnol La Vanguardia a confirmé, dans une enquête détaillée, que l’État algérien a officiellement récupéré l’hôtel El Palace de Barcelone, l’un des établissements de luxe les plus emblématiques de la capitale catalane. Une victoire symbolique qui intervient dans un contexte de normalisation progressive des relations entre les deux pays, après plus de deux ans de tensions diplomatiques.
Selon La Vanguardia, le transfert de propriété s’est concrétisé le 1er août dernier au profit du Fonds National d’Investissement algérien, organisme public placé sous l’autorité directe du gouvernement. L’opération s’est effectuée via une « dation en paiement », mécanisme juridique permettant de régler une dette en cédant un bien immobilier. Le quotidien espagnol relève un élément clé : l’inscription au registre foncier de Barcelone mentionne une dation volontaire plutôt qu’une saisie judiciaire, ce qui laisse penser qu’un accord a été trouvé entre les autorités algériennes et Ali Haddad, l’ancien propriétaire aujourd’hui emprisonné.
Ali Haddad, incarnation d’un système corrompu
Haddad incarne à lui seul les dérives de l’ère Bouteflika. Ancien président de la principale organisation patronale du pays et patron d’ETRHB, première entreprise de BTP privée d’Algérie, il avait tissé un vaste réseau d’affaires, notamment avec des partenaires européens comme le groupe espagnol FCC. Ses contrats portaient sur des milliards et couvraient des projets pharaoniques : lignes ferroviaires, stades. Mais toutes ces collaborations n’ont pas été couronnées de succès. FCC a d’ailleurs abandonné deux chantiers en 2015 avec des pertes considérables.
L’arrestation d’Haddad en avril 2019 reste un moment charnière de l’histoire algérienne récente. Interpellé à la frontière tunisienne alors qu’il tentait de fuir le pays, il a été appréhendé quelques heures seulement avant que l’armée ne force la démission d’Abdelaziz Bouteflika après vingt années au pouvoir, sous la pression du Hirak. Condamné pour « corruption, malversation et abus de pouvoir », il purge actuellement sa peine. La justice algérienne considère que l’hôtel barcelonais, acquis en décembre 2011 pour une somme estimée entre 54 et 80 millions d’euros selon les sources, l’a été avec des fonds détournés.
Cette affaire s’inscrit dans une campagne plus large lancée par Abdelmadjid Tebboune pour récupérer les avoirs de la « issaba ». En 2022, Alger a envoyé des commissions rogatoires à une dizaine de pays européens pour réclamer la restitution de ces biens mal acquis. El Palace figurait en tête de liste des propriétés ciblées à l’étranger.
Le 10 octobre dernier, lors d’un discours devant les hauts gradés de l’armée, Tebboune a évoqué cette affaire sans nommer explicitement l’établissement. « En Espagne, les autorités nous ont restitué un hôtel cinq étoiles acquis illicitement », a-t-il déclaré, affirmant que l’Algérie avait récupéré pour 30 milliards de dollars de biens détournés. La Vanguardia apporte donc la confirmation officielle de ces propos.
Une restitution dans un contexte diplomatique délicat
Ce qui rend cette restitution d’autant plus significative, c’est le contexte diplomatique dans lequel elle s’est déroulée. Les relations entre Alger et Madrid ont traversé une crise profonde après la décision de Pedro Sánchez, en mars 2022, de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Une position qui a provoqué le rappel de l’ambassadeur algérien et la suspension du traité d’amitié bilatéral en juin 2022. La crise a duré dix-neuf mois avant qu’Alger ne nomme un nouvel ambassadeur à Madrid fin 2023.
Selon La Vanguardia, des sources diplomatiques confirment que l’ambassade espagnole à Alger a canalisé la demande algérienne de restitution, qui a nécessité quelques corrections formales. Les diplomates espagnols ont dû naviguer avec prudence, assurant aux Algériens que la procédure judiciaire suivait son cours normalement, sans être entravée par les turbulences politiques bilatérales. Cette coopération judiciaire, maintenue malgré les tensions, témoigne d’une certaine maturité institutionnelle des deux côtés de la Méditerranée.
Depuis fin 2024, les relations entre les deux pays se sont normalisées. La visite du ministre de l’Intérieur espagnol Fernando Grande-Marlaska à Alger la semaine dernière marque la première d’un membre du gouvernement espagnol depuis le début du conflit. Quelques jours auparavant, une délégation algérienne était à Madrid pour une réunion de la commission mixte de sécurité, au cours de laquelle les Algériens ont mis sur la table leurs demandes de restitution de fonds acquis illicitement. Selon le ministère de l’Intérieur espagnol cité par La Vanguardia, plusieurs hôtels ont été évoqués lors de ces discussions, sans toutefois mentionner spécifiquement celui de Barcelone.
Le journal espagnol précise que l’hôtel porte encore une hypothèque contractée en 2011 auprès du Banco Santander pour 26 millions d’euros, sur une valeur d’expertise initiale de 53 millions. Le nouveau propriétaire algérien assume le remboursement de cette dette. L’inscription formelle au Registre de la Propriété a rencontré un obstacle administratif le 20 octobre, sans que les documents précisent s’il s’agit d’un problème technique ou de fond. Mais juridiquement, la transmission de propriété en Espagne s’effectue dès la signature de l’acte notarié, ce qui fait que l’hôtel appartient à l’État algérien depuis août.
Haddad avait procédé à l’acquisition via la société Aginyo Inversiones y Gestiones Inmobiliarias, dont il était l’administrateur unique. Sa représentante légale, Radia Bouziane Allaoui, une Algérienne naturalisée espagnole, administre également Royal Blue Bird, la société qui exploite l’établissement depuis 2014. Contactée par La Vanguardia, l’entreprise a refusé de commenter.





