La récente nomination de Farid Yaïci comme conseiller économique à la Présidence intervient alors que la loi de finances 2026 affiche un déficit hors gabarit — plus de 12 % du solde du Trésor — et qu’aucune inflexion sérieuse de la dépense publique n’est engagée. Premier rendez-vous manqué. Si Yaïci veut réellement réduire les déficits et rationaliser la politique budgétaire, il arrive trop tard pour les arbitrages décisifs de 2026. Reste à savoir s’il pourra peser davantage que ses prédécesseurs — l’éphémère Yassine Ould Moussa et le chaotique Kamel Rezzig —, tous deux restés sans production stratégique notable ni vision de développement adaptée au XXIᵉ siècle.
Un profil technocratique bien établi
Farid Yaïci incarne le technocrate formé à la fois par l’université et l’appareil d’État. Docteur en sciences économiques, professeur à Béjaïa, ancien directeur général au ministère de la Prospective, auditeur à la Banque d’Algérie et conseiller au ministère de l’Industrie, il connaît intimement la mécanique administrative. Ses travaux portent sur la dépendance à la rente, la gestion des réserves de change et la réforme du système productif. Ce parcours lui confère une légitimité intellectuelle certaine, mais pas nécessairement un pouvoir d’action.
Un discours critique mais contenu dans le cadre souverainiste
Yaïci partage le diagnostic classique : le modèle rentier étouffe l’économie productive, affaiblit l’État et entretient la dépendance extérieure. Il appelle à restaurer la gouvernance et à réformer la fiscalité, tout en restant dans un cadre de contrôle étatique : politique industrielle planifiée, limitation sélective des importations, maintien d’une souveraineté stricte sur les secteurs stratégiques. Il s’oppose par exemple à la convergence des deux taux du dinar (officiel et parallèle) et a critiqué un article du professeur Bessaha plaidant pour un taux de change unifié. Il soutient la création d’un fonds souverain destiné à diversifier les placements publics. C’est un réformisme prudent, compatible avec la ligne officielle : rationaliser sans libéraliser.
Où se situe réellement le pouvoir économique
La marge de manœuvre du nouveau conseiller économique au palais d’El Mouradia est réputée étroite. Elle pourrait toutefois s’élargir s’il obtient l’oreille du président. En Algérie, la décision économique ne se situe ni dans les ministères sectoriels ni chez les techniciens, mais dans le bureau présidentiel. Le président Tebboune fixe les priorités, arbitre les projets et valide les orientations. Ses directives s’imposent à tous, souvent en dehors de toute planification. Le conseiller économique n’est pas une source d’impulsion, mais un auxiliaire : il produit des analyses, rarement des décisions. À moins qu’il ne parvienne à convaincre un chef de l’État peu enclin à solliciter ses conseillers sur des sujets qu’il estime maîtriser — notamment la politique économique. Le centre de gravité du pouvoir économique est politique, non technocratique. Farid Yaïci le sait et fera sans doute avec.
Une fenêtre de réforme étroite
La stagnation des revenus énergétiques, l’inflation et la montée de la dette créent une contrainte budgétaire forte. Théoriquement, c’est une occasion d’imposer des réformes : réduire les dépenses improductives, mieux cibler les subventions, relancer la production nationale. Mais tant que la présidence demeure attachée à une gestion distributive et centralisée, le rôle du nouveau conseiller économique risque de se limiter à celui d’un commentateur interne. Sa capacité à infléchir la trajectoire dépendra moins de ses convictions que de la volonté du pouvoir d’accepter un changement de cap.
Farid Yaïci arrive au moment où l’État peut de moins en moins acheter la paix sociale à crédit. Il possède le profil et l’expertise pour plaider la rigueur, mais non les leviers pour l’imposer. Sauf rupture politique, son rôle restera celui d’un conseiller de plus dans une présidence qui écoute peu et décide seule.





