Le 1er août 2025, la Banque mondiale publie un rapport sur le Maghreb, l’intégration des femmes dans le monde du travail. Une intégration que l’institution juge de « faible ». Si les filles y brillent sur les bancs de l’école et dans les indicateurs de santé, elles restent moins présentes dans certains secteurs du monde du travail, des sphères de décision et de l’espace public. « L’Algérie, avec un taux d’activité féminine de seulement 17 %, arrive en dernière position, derrière le Maroc (20 %), la Tunisie (27 %) et la Libye (35 %) ».
Ce chiffre révèle une fracture profonde entre les avancées scolaires et l’inclusion économique. Une perte de richesses humaines et économiques difficilement justifiable, dans un pays où la jeunesse féminine est pourtant l’une des plus diplômées du continent africain.
Des diplômes sans avenir : le paradoxe algérien
Les jeunes Algériennes dominent les classements scolaires. BEM, BAC, université… les taux de réussite féminins crèvent les plafonds. « Lors des derniers examens du BAC, plus de 70 % des mentions Très Bien sont revenues à des filles .
Dans les concours scientifiques, les facultés de médecine, d’ingénierie ou de mathématiques, elles surpassent leurs camarades masculins ». Pourtant, cet investissement ne trouve pas de prolongement dans l’emploi formel. Faute de débouchés, de crédits, de réseaux ou de reconnaissance, beaucoup se retrouvent exclues du marché du travail. Le travail domestique redevient une fatalité.
Représentation politique : l’Algérie à la traîne
Les chiffres sont tout aussi faibles dans la sphère politique. Si des quotas existent, la réalité du pouvoir reste largement masculine. « Peu de femmes dirigent des APC, siègent dans les conseils d’administration ou accèdent à des ministères de poids ». Les femmes ministres, députées ou entrepreneures visibles se comptent sur les doigts d’une main.
En comparaison, la Tunisie se distingue par une plus grande implication féminine dans le Parlement. « Algérie les femmes représentaient un quota de 40 % sur listes de candidats, mais seulement 8 % de femmes élues (34 sièges sur 407) en 2021, Tunisie : quota de 50 %, avec une meilleure représentation en sièges, Maroc quota de 15 % de sièges réservés aux femmes. »
L’Algérie peine à mettre en avant des figures d’autorité féminines visibles et reconnues. « Cette invisibilité politique affaiblit la démocratie et freine la modernisation des politiques publiques. Elle envoie aussi un message décourageant à une génération de femmes prêtes à s’engager, mais tenues à l’écart ».
Un déséquilibre manifeste, des solutions s’imposent.
Le fossé entre hommes et femmes sur le marché du travail algérien reste abyssal. « En 2021, le taux de chômage féminin atteignait 19,2 %, contre seulement 8,1 % pour les hommes », selon les données de la Banque mondiale. Cette disparité s’observe malgré la forte présence des femmes dans l’enseignement supérieur, « elles représentent 48,5 % des diplômés en ingénierie, l’un des taux les plus élevés au monde ».
Pourtant, ces diplômes peinent à se convertir en opportunités professionnelles. « Beaucoup de jeunes femmes restent sans emploi, victimes d’un système économique rigide et d’une ségrégation sectorielle qui les exclut des secteurs porteurs ». Sur le plan de la mobilité académique, les Algériennes obtiennent aujourd’hui un nombre croissant de visas d’études, souvent supérieur à celui des garçons dans certaines universités européennes, signe d’un désir d’émancipation et d’une reconnaissance de leur excellence scolaire. Mais cette fuite des cerveaux féminins est aussi le reflet d’un pays qui peine à leur offrir un avenir.
Un gâchis économique majeur
La Banque mondiale estime que « l’exclusion des femmes du marché du travail coûte des dizaines de milliards de dollars aux économies maghrébines chaque année », avant d’ajouter que « Le potentiel de croissance est entravé par une sous-utilisation du capital humain féminin. Les politiques de relance qui n’intègrent pas les femmes sont vouées à l’échec.
La jeunesse féminine, formée, connectée, ambitieuse, est aujourd’hui bloquée à la porte de l’économie ». Et cette marginalisation ne touche pas seulement les plus vulnérables, même les femmes diplômées, urbaines et qualifiées, peinent à trouver leur place. « Les femmes sont un levier de croissance, de création, de stabilité. Leur absence des secteurs innovants, technologiques ou industriels prive l’économie nationale d’un souffle neuf, d’une créativité, d’une main-d’œuvre essentielle ».
Une résistance féminine qui persiste
Malgré tout, des voix s’élèvent. Des collectifs, des startups dirigées par des femmes, des campagnes citoyennes réclament leur place. L’accès à l’éducation et l’innovation donne de l’espoir. Les plateformes numériques, les réseaux sociaux et l’enseignement à distance offrent de nouveaux espaces d’expression et d’entrepreneuriat. Des femmes enseignent, innovent, soignent, inventent. elles animent des coopératives agricoles, des projets solidaires.
Elles ne demandent pas la permission, elles créent des espaces à leur image. Mais ces élans, aussi inspirants soient-ils, ne peuvent suffire sans un engagement politique clair, des réformes concrètes et une refonte des mentalités.
Le Maghreb de demain ne se bâtira pas sans ses femmes. Il pourra, peut-être, s’il le veut, devenir un espace d’émancipation, d’innovation et de prospérité, porté par la moitié oubliée de sa population. Mais pour cela, il faut ouvrir les portes, lever les obstacles, écouter les voix longtemps étouffées. Et surtout, passer à l’action.