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Filière dattière : “On exporte pour 70 millions de dollars alors qu’on vaut un milliard”, alerte un expert

Par Djaffar OUIGRA 26 novembre 2025
Dattes algériennes produites à Biskra, au Sud au pays. (DR)

Soixante-dix millions de dollars d’exportations pour un potentiel d’un milliard : la filière dattière algérienne laisse filer une manne colossale. Un expert du secteur tire la sonnette d’alarme sur un gâchis économique évitable.

Le marché des dattes en Algérie reste une énigme économique. Malgré une capacité de production qui place le pays parmi les leaders mondiaux, les exportations demeurent très faibles, ce qui surprend et inquiète les professionnels. L’Algérie produit plus de 11,5 millions de quintaux de dattes par an, faisant de cette filière l’une des plus importantes de l’agriculture nationale. Pourtant, les revenus tirés de l’exportation se limitent à environ 70 millions de dollars, un montant dérisoire au regard du potentiel réel de ce fruit emblématique du Sahara.

En 2025, ce paradoxe apparaît plus marqué encore. La production a atteint, selon l’ensemble des agriculteurs, un niveau exceptionnel, tant en quantité qu’en qualité. Mohamed Yazid Hambali, directeur de la Chambre Nationale de l’Agriculture, le reconnaît : “cette année, la production a atteint un nouveau raccord, en quantité et qualité, mais l’exportation avoisine toujours 70 millions de dollars, ce qui est vraiment rien par rapport au potentiel que nous avons”. Pour lui, la voie à suivre est claire : “nous avons besoin d’un plan de commercialisation efficace. Désormais, on mise sur la formation des jeunes pour une bonne commercialisation des dattes algériennes qui ont déjà leur place sur le marché international”.

Sur le marché de gros, cette surabondance se traduit par des prix qui, pour les dattes courantes, débutent à 100 DA le kilo. À Oulad Djellal, les agriculteurs confirment une production particulièrement abondante. Ce décalage entre performances agricoles et faiblesse des recettes à l’export soulève une question centrale : ce retard est-il lié à un manque d’intérêt de l’État pour une filière stratégique ou résulte-t-il de défaillances plus profondes dans la chaîne de valeur ?

Record dans les palmeraies, blocage dans la chaîne de valeur

La réponse semble résider dans un mélange d’inertie institutionnelle et de contraintes logistiques importantes. Le récent Salon International des Dattes à Alger, qui a réuni 150 exposants nationaux et étrangers (producteurs, transformateurs, exportateurs, start-up, centres techniques), aurait pu servir de vitrine et de levier commercial. Son organisation a pourtant mis en évidence les difficultés d’accès rencontrées par certains producteurs.

Thabet Hanni, agriculteur d’Oulad Djellal et détenteur de plus de 500 variétés de dattes, n’a pas pu obtenir de stand. Il regrette le manque d’attention accordée à cette filière. Ses déclarations constituent un réquisitoire contre le manque de transparence et de soutien : “personne ne peut avoir une idée précise de la production nationale en dattes, puisqu’il n’y a pas de statistiques fiables. Le chiffre de 70 millions de dollars est loin de la réalité. En vrai, on est plus proche du milliard de dollars”.

Selon lui, cette faible visibilité officielle masque une réalité plus complexe, où une part importante de la production circule via des réseaux informels ou transite sous le “ticket” d’autres pays : “des Tunisiens m’ont déjà appelé pour acheter les dattes et les faire entrer en Tunisie clandestinement. Une grande partie des dattes algériennes est commercialisée sur d’autres marchés”.

La logistique constitue l’autre point de fragilité. Même si le prix au départ des oasis peut tomber à 100 DA, la facture augmente fortement dès que le produit est transporté. “Le prix des dattes est cher à cause du transport vers le nord qui peut faire jusqu’à 800 DA pour un sac de 7 kilos”, explique Thabet Hanni. Ce coût élevé renchérit le produit final et le rend difficilement accessible aux consommateurs algériens, malgré une récolte exceptionnellement abondante.

Un autre agriculteur de Biskra, Abdelmadjid, confirme la qualité exceptionnelle de la récolte, qu’il attribue en partie aux conditions climatiques : “le climat de cette année a joué un rôle important pour la qualité et le prix des dattes. La pluie de début septembre nous a beaucoup aidés : les nuits étaient fraîches, contrairement aux années précédentes où la chaleur étouffante avait affecté la récolte”. Cette qualité devrait constituer un atout majeur à l’export, mais, comme il le souligne, “la production est à son apogée, et malheureusement il n’y a que ça : les autres maillons de la chaîne sont loin de satisfaire le client”.

L’enjeu n’est donc pas la quantité, mais la structuration de la filière. De l’avis de tous ceux que nous avons rencontrés,l’Algérie doit investir dans la transformation, le conditionnement standardisé, la traçabilité et surtout la formalisation des circuits d’exportation. Le marché des dattes représente une opportunité majeure pour l’économie nationale et pour les régions sahariennes. Si les professionnels et l’État parviennent à réduire l’écart entre l’abondance de la production et la faiblesse des infrastructures de logistique et de commercialisation, le chiffre d’affaires à l’export pourrait enfin refléter le potentiel réel de cette filière. C’est la condition pour que le milliard de dollars espéré cesse de circuler dans l’ombre du marché informel.

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