Abdelakarim Boulezred a présenté des données dépassés aux députés, sous-estimant de 400 milliards de dinars les performances du secteur bancaire islamique.
L’exercice parlementaire du jeudi 10 juin aura tourné au fiasco pour le ministre des Finances. Face aux députés de l’Assemblée populaire nationale, Abdelakarim Boulezred a affiché une méconnaissance troublante des dossiers qu’il supervise. Interrogé sur la finance islamique, il a avancé le chiffre de 506 milliards de dinars de dépôts collectés, quand la réalité du secteur approche désormais les 900 milliards de dinars.
Cet écart de près de 400 milliards de dinars suggère que le ministre travaillait avec des statistiques antérieures de plusieurs mois. Une situation qui questionne la circulation de l’information au sein de l’appareil gouvernemental, particulièrement sur un secteur en forte croissance.
La finance islamique algérienne affiche pourtant des performances remarquables depuis son lancement officiel en 2020. En cinq années, elle a conquis 6% du marché bancaire national, attirant plus de 745 000 clients répartis dans un réseau de 800 agences et 900 guichets spécialisés à travers le territoire.
Un secteur en plein essor mal suivi par le ministère
L’évolution des dépôts suit une courbe ascendante constante. De 546 milliards de dinars en 2022, ils ont progressé à 623 milliards en 2023, puis à 817 milliards fin 2024, pour atteindre 900 milliards début 2025. Cette croissance annuelle de 25 à 30% place la finance islamique parmi les segments les plus dynamiques du secteur bancaire.
Cette expansion s’appuie sur l’engouement de la clientèle pour les produits conformes à la charia et sur l’offensive commerciale des banques, notamment publiques. Ces établissements ont investi dans la formation de leurs équipes et la modernisation de leurs services, tout en bénéficiant d’un cadre réglementaire favorable.
L’orientation du secteur privilégie en effet le financement productif, avec 70% des crédits islamiques destinés aux entreprises contre 30% aux particuliers. Le ministre a d’ailleurs confirmé cette tendance en précisant que 437 milliards de dinars ont été dirigés vers le financement de projets et d’opérations commerciales.
Année | Dépôts (milliards DA) | Part de marché estimée | Croissance annuelle |
---|---|---|---|
2020 | Débuts | 1% | N/A |
2022 | 546 | 4% | 24% (2020-2022) |
2023 | 623 | 5% | 14,11% |
2024-2025 | 817-900 | 6% | 25-30% |
Le gouvernement mise sur l’avenir malgré ses lacunes
Abdelkarim Boulezred a profité de cette même séance pour dévoiler les projets gouvernementaux pour le secteur : création d’une banque publique spécialisée en finance islamique, lancement futur d’émissions de sukuk souverains et développement de compagnies d’assurance takaful. Ces initiatives visent à compléter l’écosystème financier islamique. Douze banques sont actuellement actives dans ce domaine, dont deux proposent exclusivement des services de finance islamique. Le réseau compte 87 agences spécialisées et 861 guichets, dont 700 appartiennent aux banques publiques.
Malgré cette dynamique, la finance conventionnelle conserve 94% des parts de marché. Les observateurs du secteur anticipent néanmoins un doublement possible de la finance islamique dans les quatre à cinq prochaines années, à condition que la coordination gouvernementale s’améliore. Un tel potentiel mérite mieux qu’une gestion approximative. L’incident du 10 juin révèle les failles d’un système où l’information ne circule pas, où les responsables naviguent à vue, où l’improvisation tient lieu de méthode. Pour un secteur appelé à peser davantage dans l’économie algérienne, cette légèreté confine à l’amateurisme.