Face aux crispations croissantes entre la France et l’Algérie, universitaires, artistes, militants exhortent Tebboune et Macron à sortir de l’impasse diplomatique et à reconstruire un lien fondé sur la dignité, la mémoire et l’intérêt commun.
Une lettre ouverte publiée sur le site d’information Mediapart, signée par près d’une quarantaine de personnalités françaises, algériennes et franco-algériennes, appelle les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron à apaiser les tensions diplomatiques. Les signataires y expriment leur « inquiétude et gravité » face à une « nouvelle phase de tensions, d’incompréhensions et de crispations » qui caractérise la relation entre la France et l’Algérie.
Haut potentiel de dégradation
Cet appel, porté par des universitaires, artistes, professionnels et militants associatifs, intervient alors que les contacts entre les officiels algériens et français sont pratiquement gelés, réduits à des échanges de « “notes verbales”», avec un potentiel de dégradation des relations pouvant aller jusqu’à la rupture. Cette tendance est alimentée par certains médias et des acteurs politiques non officiels.
Parmi les événements récents ayant exacerbé les tensions : l’attaque raciste de Noëlle Lenoir, ancienne ministre et présidente du comité de soutien à Boualem Sansal, accusant des « millions d’Algériens » d’être prêts à tuer dans le métro ; ou encore la une de l’hebdomadaire Le Point, reprenant les vieux clichés sur la Kabylie du Bureau arabe durant la colonisation. En Algérie, certains articles de presse ont accusé le centre culturel français d’être un « nid d’espions », suscitant des spéculations sur sa possible fermeture par les autorités.
Du côté officiel, la dernière crise en date concerne la question des « valises diplomatiques », soulevée par Bruno Retailleau, et pour laquelle la solution proposée par le Quai d’Orsay a été jugée inacceptable par Alger.
Face à ce climat délétère, les signataires rappellent aux deux présidents qu’il est de leur « pouvoir et devoir d’ouvrir une voie de sortie de crise ». Ils affirment leur « gravité » face à l’impasse actuelle, mais aussi leur « espoir sincère » qu’une volonté politique partagée permette de « construire un avenir apaisé, fondé sur le respect mutuel et l’intérêt commun».
Ils insistent sur la nécessité de traiter avec courage les blessures de la colonisation et de la guerre, tout en plaçant les jeunes générations au cœur de la relation bilatérale. « L’avenir des relations entre la France et l’Algérie ne peut se réduire à des calculs électoraux ou à des postures diplomatiques éphémères », écrivent-ils, soulignant que cet enjeu « concerne des millions de vies » et engage l’image des deux nations.
Le silence n’est pas indifférence… mais malaise
La lettre ouverte souligne que « le silence des peuples n’est pas indifférence », mais qu’il exprime un « profond malaise et une inquiétude face à l’escalade des tensions ». Chacun espère un retour rapide à l’apaisement, à une relation fondée sur la confiance, la dignité et la solidarité.
Les auteurs disent espérer que « soit retrouvé l’esprit qui a animé les hommes d’État ayant su trouver les solutions idoines au sortir d’une guerre atroce ».
Parmi les premiers signataires figurent des universitaires reconnus tels qu’Aïssa Kadri, professeur des universités ; Ahmed Mahiou, juriste et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger ; les historiens Alain Ruscio et Gilles Manceron ; Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste ; Todd Shepard, professeur à Johns Hopkins University.
Du côté de la société civile, on peut citer Farid Yaker (Forum France-Algérie), Louisa Ferhat (Association Femmes Berbères Européennes), Jacques Pradel (Association des Pieds-Noirs Progressistes et leurs Ami·e·s), ainsi que des anciens appelés en Algérie comme Stanislas Hutin et Michel Berthelemy. Le militant associatif Tewfik Allal et le réalisateur André Gazut figurent également parmi les signataires.