Gabès étouffe. Non seulement sous le poids d’années de pollution industrielle, mais aussi sous le silence et la lenteur des réponses politiques. Ce mardi, la ville du sud tunisien a dressé un mur de silence et de colère. Commerces fermés, bureaux désertés, rues paralysées par une grève générale à 100 % — une rareté qui illustre à quel point la population est à bout. Cette mobilisation est le cri d’un peuple dont la santé devient une offrande sacrifiée sur l’autel d’une industrie chimique implantée depuis 1972.
Depuis des semaines, Gabès vit au rythme du soulèvement. Une usine d’engrais vieillissante du Groupe chimique tunisien, utilisant acide sulfurique et ammoniac, libère dans l’air, la mer et la terre des toxines qu’on ne peut plus ignorer. Plus de 200 cas d’intoxication, essentiellement chez des enfants, ont transformé l’indignation en urgence vitale. Les vidéos d’élèves évacués de leurs classes, suffoquant sous les effets des gaz nocifs, ont frappé les consciences et braqué les projecteurs sur une catastrophe sanitaire ignorée depuis des décennies.
Mardi dernier, des milliers de manifestants ont défilé dans le centre-ville, brandissant des banderoles et scandant des slogans simples mais puissants : « La santé est un droit ! Respirer est un droit ! », « Démanteler le complexe polluant est notre droit ! ». Ce mouvement pacifique dénonce aussi la passivité des autorités — une passivité devenue intolérable quand la vie de générations entières est en jeu.
Une usine toxique et des promesses non tenues
Face à la pression, le président Kaïs Saïed a dépêché une équipe interministérielle avec la promesse de « faire le nécessaire ». Mais pour de nombreux habitants et militants, cette réponse reste creuse, tardive et surtout insuffisante. En 2017 déjà, on promettait le démantèlement progressif du complexe industriel — un serpent de mer qui n’a, pour l’instant, accouché d’aucune action concrète. Entre-temps, la production a même été intensifiée, aggravant la pollution.
Les avocats, solidaires, ont rejoint le mouvement en criant : « Assez de marginalisation ! Assez d’injustice ! ». Ils portent la voix d’une justice qui doit accompagner la lutte environnementale et sociale. Dans une région frappée par un chômage élevé, le complexe emploie encore 4 000 personnes — un chiffre qui complique la donne et illustre le double piège entre survie économique et urgence sanitaire.
Gabès étouffe entre mer noire et air irrespirable
Derrière les chiffres et les slogans, la réalité est brutale : à Gabès, la mer est noire, le ciel saturé de gaz toxiques et les sols meurtris. L’activité traditionnelle de pêche et d’agriculture s’effondre, tandis que la population survit dans une angoisse quotidienne, frappée par la hausse des maladies respiratoires et cancéreuses.
Le porte-parole de la Garde nationale, Houcem Eddine Jebabli, a justifié « l’usage de la fermeté » lors des affrontements récents, après des jets de cocktails Molotov et des agressions contre les forces de l’ordre. Mais cette violence n’efface ni la détresse ni la détermination grandissante des citoyens.
De Gabès à Paris : la lutte traverse les frontières
La colère de Gabès dépasse désormais ses frontières. Demain, dimanche 26 octobre 2025, la place de la République à Paris accueillera un rassemblement solidaire organisé par le Collectif Souffle de Gabès. Des Tunisien·ne·s de France, engagés aux côtés de leurs compatriotes, appellent à marcher pour « le droit de respirer, la justice environnementale et la souveraineté des peuples ».
Le Collectif rappelle : « Gabès n’est pas une tragédie locale, c’est le miroir d’un système global qui détruit les peuples et la nature. Nous exigeons la fermeture du complexe chimique, la justice et les réparations. »
Sous le soleil implacable ou les pluies rares, cette ville jadis surnommée l’oasis des abondances se consume dans une pollution qui tue à petit feu. Son peuple n’accepte plus ce destin. Les visages dans les rues racontent une grisaille faite d’indignation et d’épuisement, mais aussi d’une rage prête à éclater.
À Paris, à quelques milliers de kilomètres, la mobilisation prendra une forme symbolique mais nécessaire, pour que la voix de Gabès soit entendue au-delà des vents chargés de soufre. La communauté tunisienne, les écologistes et les militants de la justice sociale marcheront unis pour rappeler que la dignité d’un peuple ne se négocie pas.





